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deux chefs de tracer un premier plan d’action combinée. Longtemps après la campagne, les deux soldats continuèrent d’échanger les lettres les plus affectueuses. « Du moment, écrivait Rochambeau par la suite, que notre correspondance fut directe, je n’eus plus qu’à me louer de la solidité de son jugement, de l’aménité de son style, dans une correspondance très longue, qui ne peut finir qu’avec la mort d’un de nous deux. » Chastellux, qui le vit à son camp où la musique de l’armée américaine lui joua la « Marche du Huron, » traça de lui la description bien connue qui se termine ainsi : « L’Amérique septentrionale, depuis Boston jusqu’à Charleston, est un grand livre où chaque page offre son éloge. » Ségur, venu plus tard, craignait fort de se trouver déçu, mais il n’en fut rien : « Son extérieur, dit-il, annonçait presque son histoire : simplicité, grandeur, dignité, calme, bonté, fermeté, c’étaient les empreintes de sa physionomie, de son maintien, comme celles de son caractère… Tout annonçait en lui le héros d’une république. » « J’ai vu Washington, écrit l’abbé Robin, cet homme l’âme, le soutien d’une des plus grandes révolutions qui soient jamais arrivées… Placé à la tête d’une nation où chaque individu partage l’autorité suprême…, » il a su discipliner ses troupes, « les rendre jalouses de ses éloges, leur faire craindre jusqu’à son silence, prolonger leur confiance même après ses défaites. » L’impression est pareille chez le commissaire des guerres Blanchard : « C’est son mérite qui a défendu la liberté d’Amérique et si elle en jouit un jour, c’est à lui seul qu’elle en sera redevable ! » Closen fut chargé de porter des dépêches au grand homme, et comme tous les autres fut aussitôt sous le charme. A la suite de cette mission, Washington vint le 6 mars visiter la flotte et le camp français. Il fut reçu avec les honneurs de maréchal de France, les vaisseaux étaient pavoises, les troupes, « dans la plus grande tenue, » formaient la haie de la maison de Rochambeau jusqu’au port ; les canons des batteries et de l’escadre saluèrent le « héros de la liberté. » Washington vit Destouches mettre à la voile pour son expédition de la Chesapeake ; son séjour « donna occasion à plusieurs fêtes ; les illuminations, dîners, soupers et bals se succédèrent. Il nous quitta le 13… On peut dire qu’il emporta les regrets, l’attachement, le respect et la vénération de toute notre armée. » Résumant ses impressions, le jeune aide de camp ajoutait : « Tout en lui annonce un grand