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force de croire malgré tout, et d’espérer quand même, alors que tout le monde, autour d’eux, désespérait de leurs destinées. Et c’est vraiment beau, c’est tout à fait émouvant, ce spectacle d’un chef de guerre qui entre ainsi en pacificateur chez ses frères affranchis, et qui reçoit avec cette simplicité affable.et sérieuse les justes témoignages de la reconnaissance publique.

Détail touchant. La fille de l’amiral, qui depuis le commencement de la campagne navale n’a pas pu voir son père, est venue, ces jours-ci, de Londres, pour prendre part à ces réjouissances passionnées. C’est une jeune fille jolie et gracieuse à souhait. Elle accompagne son père, marche à côté de lui, avec une simplicité souriante, à la tête du cortège triomphal. Sa présence donne à cette pompe le caractère presque intime d’une fête de famille. Elle est naïvement heureuse de voir toutes ces fleurs effeuiller sur son passage leurs corolles parfumées, tous ces cœurs s’unir dans le même sentiment de plaisir et de gratitude, toutes ces voix pousser des acclamations en l’honneur du nom paternel.

Ainsi précédé, suivi, accompagné de tous côtés par une foule innombrable, tandis que les enfans des écoles chrétiennes, sous la conduite d’une élite d’instituteurs patriotes, chantent de tout cœur et à pleine voix l’hymne national des Hellènes et les refrains héroïques de l’Epire souffrante ou de la Macédoine captive, le cortège s’arrête aux propylées de la basilique, sous les arcades d’un narthex peint en bleu céleste. Cloches et clochettes sonnent en joyeux carillons. Le métropolite de Chio, Mgr Hiéronyme, est là en habits pontificaux, la tiare en tête, la crosse en main, pour recevoir l’amiral et les officiers de la marine royale hellénique. La tradition ethnique de l’hellénisme unit étroitement la religion à la patrie, et veut que l’Église, dans les heures radieuses comme dans les jours sombres, prenne sa part des grandes émotions de l’Etat.

Le pittoresque décor du christianisme oriental tout étincelant de cierges allumés, de mosaïques scintillantes et d’icônes ornées de pierreries, rehausse de toutes les splendeurs d’une très ancienne liturgie byzantine l’actualité de cette scène. Le cortège entre dans l’église illuminée, pavoisée pour un Te Deum. Les orgues font entendre un chant de joie, auquel s’associent les voix graves des archidiacres, les voix aiguës des enfans de chœur. ; L’encens fume dans des cassolettes d’argent et d’or.