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La foule envahit la basilique métropolitaine pour assister à la doxologie qui sera la consécration de la victoire. Je comprends le mot « église, » qui veut dire « lieu d’assemblée, » en voyant le peuple entrer dans la vaste nef, où s’établit tout à coup, après le tumulte ensoleillé du dehors, un émouvant silence, qui s’harmonise avec l’ombre des voûtes et avec le recueillement mystique des figures peintes sur l’iconostase. Face à face, l’un assis à gauche du sanctuaire et du tabernacle, dans une sorte de chaire entourée d’une balustrade, l’autre installé sous un dais dans sa cathèdre épiscopale, l’amiral et le métropolite ont échangé un long regard muet. Le pasteur du troupeau longtemps captif semblait dire en cette méditation éloquemment silencieuse : — Voici l’échéance longtemps attendue par ceux qui jusqu’à présent n’ont vécu que d’un aliment moral et d’une nourriture spirituelle. Sans puissance effective, dépourvu de tout moyen matériel d’imposer son autorité, souvent exposé aux pires injures et aux plus cruelles représailles par la ténacité de sa propagande patriotique, ce clergé a su maintenir intacte, au fond des âmes, comme un dépôt idéal et inaliénable, l’espérance aujourd’hui réalisée. Nous subsistons parce que nous avons résisté. L’épreuve imposée par Dieu à la chrétienté d’Orient, comme une punition pour les péchés de Byzance, est terminée.

Sous la bénédiction épiscopale du vénérable prélat, toutes les têtes s’inclinent. C’est un instant d’unanimité chrétienne, où l’on voit que la force morale est la première garantie de la puissance matérielle. Heureux les peuples chez qui une longue communauté d’idées et de sentimens a fait de la fraternité religieuse une concorde nationale ! On ne connaît pas ici la manie de l’anticléricalisme. La reconnaissance des Hellènes envers leur Église est proportionnée aux services rendus à la cause populaire par les autorités ecclésiastiques. Chez eux, l’instituteur et le prêtre sont d’accord pour exalter la grandeur du devoir militaire. La défense de la foi se confond avec les revendications de la patrie. Les épées des officiers et les crosses des évêques montrent d’un geste unanime le chemin de la victoire.

Je regarde l’amiral, qui est debout, en face de l’évêque, au milieu de son état-major. Il porte avec une aisance toute juvénile la tenue d’été de la marine hellénique. Il est tout blanc, depuis la pointe de ses souliers de toile jusqu’à la coiffe de sa