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les temps ; et ils se sont prêtés à deviner les intentions plus secrètes d’un art subtil, que l’auteur s’est plu à faire courir à travers son œuvre. Peut-être quelques-uns d’entre eux avaient-ils, au printemps dernier, assisté à la Pisanelle : ils ont su gré à M. d’Annunzio d’en avoir si tôt effacé jusqu’au souvenir et d’avoir tenu à prendre une de ces revanches comme en prennent les vrais poètes.

Ce titre, Le Chèvrefeuille, nous avait d’abord fait songer au lai fameux de Marie de France, et à la tragique histoire de Tristan et Iseult. Nous avions pensé que M. d’Annunzio s’en était avisé, au cours de ses voyages de reconnaissance à travers notre littérature du Moyen âge. Il se peut qu’en effet il lui soit venu de là ; mais ce n’est qu’un titre, qui ne préjuge pas le sujet de la pièce : ce n’est qu’un nom dont l’auteur a baptisé la maison où il va nous introduire, la maison du drame. Imaginez une propriété de genre très italien : un jardin qui ressemble à un parc, une habitation qui a des airs de palais, une vaste salle que supportent des colonnes et que décorent des statues antiques, une terrasse qui domine un bassin, une perspective de cyprès, nobles et mélancoliques, qui font songer aux cyprès des jardins Giusti, à Vérone. Ce domaine appartenait à une famille, la famille de la Coldre, qui est une famille ruinée : cela encore est assez italien. Mais le fils, Ivain, a fait un mariage riche ; il faut croire que le mariage riche a des avantages, — j’entends au point de vue moral, et quoi qu’en disent les romanciers, les auteurs dramatiques et généralement tous les moralistes, — puisqu’il a permis à Ivain de racheter la maison natale. Cet Ivain est un charmant garçon pas très fort, pas très perspicace, pas très malin, de ceux dont on dit qu’ils n’ont pas inventé la poudre, qui d’ailleurs n’est plus à inventer, n’est affectueux, cordial, et aime à sentir tout son monde réuni et content autour de lui. Maintenant qu’il est rentré en possession de la maison de famille, il voudrait y grouper toute la famille ou du moins ce qui en reste. Il y a déjà installé sa sœur Aude, non sans peine. Il veut maintenant y ramener sa mère, et cela est très délicat. En effet, cette mère, devenue veuve, s’est remariée ; elle s’est remariée bien vite avec un ami bien intime de son mari ! Elle est devenue Mme Pierre Dagon. Depuis ce jour-là, ses enfans ne l’ont plus revue. Tels sont les faits que nous apprendrons peu à peu au cours du dialogue, et que j’ai résumés tout d’abord et placés en tête de l’analyse, afin de situer la pièce et d’en indiquer l’atmosphère.

Lorsque la toile se lève, deux jeunes filles sont en train de causer. Ces jeunes filles sont aussi différentes qu’il est possible et forment un