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un fermier, c’est un propriétaire. » Il met trente à quarante ans pour s’élever de la maison de « rondins soutenus par des piquets, » en passant par la maison « en planches bien jointes, » à la « maison de briques : c’est le complément de leur architecture. » La main-d’œuvre est rare, on la paye un dollar par jour. Il y a trois millions d’habitans ; ce pays « en pourra comporter un peu plus de trente millions sans se gêner. » Ce n’était pas trop mal calculer, les treize Etats que connut Rochambeau en font aujourd’hui trente-sept. Les hommes recherchent les mobiliers anglais et les femmes sont « fort curieuses des modes françaises ; » partout où le ravage de la guerre ne s’est pas fait sentir, on vit bien, « et le petit nègre est continuellement occupé à défaire et remettre le couvert. »

Le fidèle Closen, qui avait été proposé pour un avancement à cause de sa brillante conduite au siège, accompagnait partout le général et explorait aussi pour son compte, ne négligeant rien, pas même les animaux et en formant « une petite collection de vivans et d’empaillés, heureux s’ils peuvent plaire aux personnes à qui je les destine. » Il prend des notes sur les racoons, les opossums et va visiter un marais « rempli d’habitations souterraines de castors, » qu’il voit travailler. Il assiste aussi par curiosité à un de ces combats de coqs qui faisaient fureur dans la région, « mais le spectacle est un peu trop cruel pour qu’on puisse le voir avec plaisir. »

Rochambeau, son fils et deux aides de camp, dont Closen, partent pour visiter à Monticello le fameux Jefferson, ancien et futur ministre en France et futur président des Etats-Unis ; ils emmènent quatorze chevaux, couchent comme ils peuvent chez l’habitant parfois gêné, on peut le croire, de recevoir une telle troupe, mais habitué alors à héberger tout venant. L’hospitalité est, au hasard du lieu, brillante ou misérable avec « un lit garni comme un dais de procession, » pour le général, ou avec « des rats qui viennent nous chatouiller les oreilles. » On atteint la belle demeure du « philosophe, » ornée d’une colonnade et dont « la plate-forme est fort joliment garnie avec toute sorte de scènes tirées de la fable. » Le seigneur du lieu éblouit les voyageurs par son savoir encyclopédique. Closen le dépeint « fort instruit dans les belles-lettres, dans l’histoire, dans la géographie, etc., etc., connaissant mieux que personne la statistique de l’Amérique en général et les intérêts respectifs de chaque