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pour un esclave et lui assura une pension viagère de cent francs. Beaucoup de matelots auraient voulu en avoir pu faire autant à ce prix-là. »

Enfin on arrive ; on revoit le paysage du départ, ces « côtes si peuplées d’êtres vivans et de beaux arbres fruitiers et autres objets ravissans. » Tout est ravissant, on est dans la joie ; on s’organise pour gagner Paris, Closen en magnifique équipage : « Et moi, dit-il, après avoir acheté une bonne voiture où je pus placer, — devant, derrière, et dessus, — mes domestiques (un blanc et mon superbe et fidèle nègre Peter), trois singes, quatre perroquets, six perruches, je partis en poste avec cet étalage bruyant et difficile à maintenir en ordre et propreté… Je fus coucher (22 juin) à Saint-Pol-de-Léon, notre dernier quartier avant l’embarquement pour l’Amérique. J’y revis avec une réjouissance cordiale la respectable famille de Kersabiec qui m’avait si bien soigné… J’y laissai une perruche en souvenir d’amitié et de reconnaissance. »

A Guingamp, il retrouve les Du Dresnay, autre famille amie, et arrive à Paris le 30, avec, dit-il, « tous mes êtres vivans de toutes les couleurs, moi-même ayant l’air d’un Indien, tant ma figure était hâlée et brûlée du soleil, à l’exception du front que le chapeau avait conservé très blanc. » La famille de Rochambeau lui fit quitter son auberge pour venir habiter chez elle ; le ministre de la Guerre, maréchal de Ségur, à qui le général le présenta lui accorda le plus flatteur accueil, et le journal se termine comme se terminaient jadis les romans, et comme continuent de se terminer les jeunesses heureuses. Quittant Paris avec la promesse, — « bouquet ministériel très éventuel, » — d’une place de colonel en second, Closen gagna Deux-Ponts. « Là je retrouvai, dit-il, ma belle fiancée, ma chère, ma divine Doris, qui avait eu la constance de me conserver son cœur et sa main, pendant les quatre années de mon absence en Amérique et pendant laquelle il s’était présenté plusieurs partis, même beaucoup plus importans pour la fortune que celle que j’apportais en mariage, qui ne consistait que dans le bouquet ministériel susmentionné et dans la réputation d’honnête homme et de bon militaire. »

J’ajouterai seulement que le ministre tint parole et que ce fut comme colonel et chevalier de Saint-Louis que Closen se retrouva aide de camp de son ancien chef Rochambeau,