Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque Mme de Sévigné revint aux Rochers au printemps de l’année 1689, elle trouva le marquis et sa femme gais, allans, animés à souhait.


21 mai 1689.

La petite femme était ravie de me voir… Je l’ai toujours trouvée fort vive, fort jolie, m’aimant beaucoup, charmée de vous et de M. de Grignan… Mon fils est toujours aimable ; il me parait fort aise de me voir ; il est fort joli de sa personne : une santé parfaite, vif, et de l’esprit.


Ils ont en effet mille sujets, mille projets, dont ils veulent entretenir leur mère et qui tous se réduisent à un seul : pour la première fois de sa vie, Sévigné est ambitieux. Bien contre son gré, la noblesse de sa province l’a élu pour son chef : en ce temps-là, on craignait une descente des Anglais sur la côte bretonne ; on mobilisait la réserve dans toute la contrée, et Sévigné se vit alors promu colonel du régiment de noblesse de la vicomté de Rennes. C’était un beau compliment. Mais le marquis n’avait pas quitté les Gendarmes-Dauphin pour trôner dans l’arrière-ban. C’était encore de la contrainte, de la besogne, et de la dépense ; trois choses dont il se serait volontiers dispensé. C’était (dit sa mère) « un anachorète au désespoir. » Mais son régiment se fit voir sous un si beau jour, — si grand, si magnifique, — Sévigné lui-même caracola si galamment à sa tête, et recueillit tant de succès dans sa province, qu’une idée lui était venue : un rêve de se faire envoyer de Vitré à Versailles comme député de la noblesse des Etats, pour faire au Roi les complimens de la Bretagne. C’était ce qu’on appelait alors la grande députation. Pourquoi Sévigné ne serait-il pas ce député ? La nomination rentrait dans les attributions du gouverneur de la province ; ce gouverneur se trouvait justement être le duc de Chaulnes, le meilleur ami des Sévigné. Pendant quinze ans, ce gouverneur avait nommé les députés sans demander un conseil à Versailles.

Tous, nous avons connu dans la vie de ces momens où les événemens paraissent prendre un heureux tour, où le passé fâcheux paraît rompre l’enchaînement et changer de suite, comme ces plantes que nous décrit le savant de Vries, qui passent d’un caractère à un autre, par une mutation brusque. ; Cela peut arriver ; mais, en dépit de la nouvelle botanique, il est fort rare que, des orties, nous récoltions des roses. Le vieux