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dicton d’Eschyle reste vrai ; on souffre de ce qu’on a fait : τὰ δράσαντι παθεῖν (ta drasanti pathein) ; et Sévigné n’était pas encore quitte avec le sort.


Voilà qu’au Vatican, le Pape s’avise de mourir, et le duc de Chaulnes est envoyé de Rennes à Rome comme ambassadeur auprès du conclave. En passant par Versailles, il dit un mot de la députation, et reste surpris de constater à quel point, dans l’atmosphère du trône, ce beau nom de Sévigné, qui éveille tant d’échos en Bretagne, a perdu de sa résonance. On dirait qu’il tombe dans le vide. Impossible de le prononcer dans la présence du Roi. Le duc en dit un mot à M. de Lavardin, écrit au maréchal d’Estrées ; mais c’est peine perdue : — on ne peut être à la fois anachorète et philosophe et courtisan… Le marquis de Sévigné n’existe plus pour Versailles. Ayant quitté la Cour au moment où il se retirait de l’armée, Sévigné s’était pour ainsi dire retranché du rang des vivans ; il existait dans un exil volontaire, la pire espèce, puisqu’il ne dépendait pas de Louis XIV d’en accorder l’amnistie. « Le Roi ne témoignait nulle répugnance à M. de Sévigné. » Mais il signifiait au duc de Chaulnes qu’il pensait reprendre au gouverneur ce droit de nomination ; qu’il voulait l’exercer en personne ; et qu’il avait, pour la députation, un candidat tout trouvé : M. de Coëtlogon, gouverneur de Rennes.

En apprenant la mauvaise nouvelle, Mme de Sévigné jeta les hauts cris ; elle avait espéré voir son fils à la Cour sans frais, sous un jour avantageux ; — elle avait rêvé de vivre comme autrefois entre son fils et sa fille au milieu de ses âmes… Mme de Grignan attachée à la personne de la Dauphine ; Charles de Sévigné chargé de la grande députation. Voilà un projet qui avait amusé bien des heures ; elle souffrait de le voir se dissiper, et, au-delà de la déception personnelle, elle sentait l’atteinte aux droits de la province : car elle était assez fortement régionaliste, comme nous disons. Charles de Sévigné criait encore plus haut qu’elle ; mais il y avait, je crois, un accent d’intime soulagement dans cette parole résignée de la petite marquise : « Ne parlons plus de la députation. Nous soutenons si bien cette petite disgrâce que cela fait voir que nous étions digne de ce que nous espérions. » Et bien vite son mari gagne quelque chose de son calme, et affirme que si, pour être député,