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génie beethovenien, par l’accroissement ou le renforcement de l’idée sonore dans le sens dramatique et dans l’ordre de la passion.

Oui, la pitié prend ici l’ardeur, la violence d’une passion véritable., Moins pathétique ailleurs, elle s’épanche avec tendresse et suit un paisible cours, dans la scène connue sous le nom d’ « Enchantement du Vendredi-Saint. » Wagner doit avoir conçu la première pensée de cette scène au mois d’avril 1857, alors qu’il venait à peine de s’installer, grâce à ses amis Wesendonck, dans la petite maison voisine de Zurich, « l’Asile, » par lui si longtemps souhaité :

« Le vendredi-saint, je me réveillai par un brillant soleil qui se montrait pour la première fois depuis que nous habitions cette maison ; notre jardinet verdissait, les oiseaux chantaient ; enfin, je pouvais m’asseoir sur notre balcon et jouir du calme tant désiré. Pénétré de joie, je me souvins tout à coup que c’était le vendredi-saint et me rappelai qu’une fois déjà j’avais été frappé d’un avertissement solennel semblable dans le Parsifal de Wolfram. Depuis mon séjour à Marienbad, où j’avais conçu les Maîtres Chanteurs et Lohengrin, je ne m’étais plus occupé de ce poème, mais aujourd’hui l’idéalisme de son sujet me dominait. Partant de l’idée du vendredi-saint, je construisis rapidement tout un drame en trois actes et l’esquissai sur-le-champ en quelques traits[1]. »

« Pénétré de joie, » nous dit Wagner. Ici, en effet, la joie circule à travers la musique, et la fait en quelque sorte s’écouler doucement. Mais c’est une joie sérieuse, pensive, une joie à base de mélancolie, de tristesse même, et de délicate pitié. Elle s’éveille, cette joie, un jour de printemps, un jour de salut, mais un jour aussi de souffrance, et de souffrance divine. Le charme de la mélodie et de la symphonie wagnérienne est composé de ces deux élémens. Le second peut-être l’emporte. Sans doute il y a plus de grandeur, avec plus de précision, en d’autres paysages, plus fortement construits, de la musique : par exemple, dans la « Scène au bord du ruisseau, » de la Symphonie Pastorale. D’aucuns trouveront même « l’Enchantement du Vendredi-Saint » un peu mince, entant que musique pure, auprès des « Murmures de la Forêt » de Siegfried. La scène de Parsifal est du moins unique en ceci, que, sur la nature entière, rajeunie et rachetée, on y sent passer un souffle et presque une caresse de bonté, de miséricorde et d’amour.

Il n’est pas jusqu’aux lointaines résonances, jusqu’aux échos

  1. Richard Wagner : Ma Vie, traduction française de MM. Valentin et Schenck. — Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1913, t. III, p. 163.