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dans une langue consacrée. Nous lui demandons une image de sentimens particuliers : elle nous offre le symbole des sentimens de la chrétienté. Sans doute, les sujets changent d’une église à l’autre ; le style même varie selon le mérite du peintre et les goûts du public, roturier ou aristocratique, bourgeois des confréries ou rustres des campagnes. La peinture sera, si l’on veut, provinciale ou même paroissiale : elle ne sera pas « nationale. » Et d’abord, il faudrait que la nation existât : l’Espagne, au moyen âge, est toujours « les Espagnes. »

Jusqu’à la fin de la Renaissance, il n’y a dans toutes ces peintures dites des « primitifs » que deux catégories : celles qui se rattachent à l’école flamande et celles qui relèvent de l’influence italienne. Comment ces élémens s’amalgament ou s’excluent, se mêlent à des restes d’archaïsme, aux fonds d’or, aux gaufrures des beaux cuirs de Cordoue, aux arabesques des faïences et des azulejos ; comment l’art de van Eyck et de Hugo van der Goes finit par envahir et dominer l’Espagne, jusqu’à l’heure où un reflet de Léonard de Vinci vint flotter aux côtes de Valence et prêter de son charme aux Vierges de Morales, — il y a là de quoi suffire aux investigations de plusieurs vies d’érudits ; c’est une matière infinie pour la nomenclature et les classifications ; mais, dans la foule des œuvres remises en lumière, s’est-il rencontré jusqu’à ce jour une note inédite, qui ne fût pas un écho, un rappel affaibli de ce qui se faisait à Bruges ou à Florence ?

C’est sans doute que ces vieux peintres sont, la plupart du temps, d’une grande médiocrité. Ils ont peu de talent, et ce qu’on voit d’eux à Londres n’est pas pour faire changer d’avis. Et puis, les conditions ne leur sont pas favorables ; leurs œuvres, sous ce jour, ne paraissent pas à leur avantage. Dans le pays, c’est différent : elles nous sembleraient peut-être délicieuses. Ce n’est pas un grand artiste qu’Alejo Fernandez : ses tableaux de l’exposition sont tout à fait insignifians ; mais, à Sainte-Anne de Triana, qui ne céderait au charme de sa Vierge à la rose ? Toutes les réminiscences dont est faite sa mièvrerie s’accordent là et se fondent dans une douceur sentimentale. Mais qui dira ce que l’impression doit à la grâce de l’entourage, à la tendre atmosphère d’une église andalouse, à son demi-abandon de réception intime, à la pénombre, aux rideaux des fenêtres, à l’air général et parfumé de ruelle ou de salon ?