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d’ailleurs à la France son emploi au moins comme moyen principal. Le gouvernement du Sultan était l’expression du Maroc dans le droit international. Les accords que nous avons signés avec l’Angleterre, puis avec l’Allemagne, à partir de 1904, pour assurer notre prépondérance au Maroc, stipulaient que nous le respecterions. Il aurait fallu d’ailleurs une étude pénétrante, détaillée, pour découvrir dans ce pays d’autres forces utilisables que le pouvoir chérifien. La diplomatie était habituée à n’y considérer que lui. Elle le voyait grandi jusque par le protocole légèrement condescendant dont les fins matois du Makhzen imposaient les rites à tout ministre étranger venant à la Cour du Chérif couronné. Elle s’illusionnait elle-même sur l’autorité du Sultan, en le rendant par ses réclamations responsable de faits survenus dans des régions où il ne pouvait rien. C’est ainsi que tout contribuait à faire adopter, d’une manière trop exclusive, la politique d’action marocaine par le seul intermédiaire du Makhzen.

Ses critiques allant à l’autre extrême, et lui opposant un système différent, celui des influences locales, que l’on a appelé la « politique de tribus, » ont dit que le gouvernement chérifien n’était qu’une fiction diplomatique. Les déprédations auxquelles il a soumis les populations des régions soumises n’avaient cependant rien de fictif. La vérité, c’est que, réduit à son essence, le Makhzen est avant tout une machine à piller. Son développement historique contribue à expliquer que son organisme ne se soit pas élevé au-dessus de cette fonction brutale et rudimentaire. Si haut que l’on remonte dans l’histoire du Moghreb, son gouvernement semble n’avoir jamais été que la razzia par des groupes successivement victorieux. Lorsque le chérif Idris vint d’Arabie au second siècle de l’hégire, il échauffa le zèle des tribus berbères encore mal islamisées, en leur proposant comme idéal le pillage dans la guerre sainte contre leurs voisines restées fidèles au christianisme ou au judaïsme apportés au temps de l’Empire romain. Les Almohades, puis les Mérinides, et plus tard, mais avec plus de régularité, la dynastie chérifienne des Saadiens et enfin celle des Filalis, encore au pouvoir, conquièrent le gouvernement et l’exploitent avec des tribus privilégiées. C’est leur guich, leurs fourmis guerrières, superposées au vulgum des tribus dites de naïba, tribus qu’elles exploitent, masse des taillables à merci. Le guich est l’armature