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militaire du Makhzen, la base de la force qui l’impose au pays. Il est comme le clan du souverain qui vit sur le reste. L’avènement d’une dynastie change d’ailleurs les tribus qui composent ce clan : les soutiens du prétendant restent ceux du souverain après la victoire et constituent la clientèle qui domine et exploite avec lui.

La manière dont ce gouvernement, qui conserve toujours les caractères d’une conquête à l’intérieur, tire sa substance du pays, est d’ailleurs primitive et barbare. Le seul fonctionnaire qui représente le Sultan dans la tribu est le caïd et sa seule fonction est d’en extraire de l’argent, en échange duquel le gouvernement n’assure absolument aucun service au contribuable. Comme le dit, dans une formule qui résume admirablement cette situation, un des hommes qui ont vu fonctionner de plus près cette machine makhzénienne, « le budget d’une tribu ne comporte que des recettes[1]. »

L’arbitraire du régime fiscal ne fixe pas de limites à cette exploitation qui n’en a d’autres que celles de la patience du taillable. Si, parfois, on a tenté de régulariser la perception des impôts coraniques, l’achour et le zekkat, dîme religieuse due par les privilégiés du guich comme par tous les croyans, la naïba que paient toutes les autres tribus est un impôt informe, indéfini, aux exigences toujours renaissantes. Et comment le caïd ne serrerait-il pas à fond cette vis fiscale, alors que lui-même est toujours sous le pressoir du Makhzen ? Il a acheté sa charge dans ces enchères sournoises qui se mènent autour des grands de la Cour et du Sultan lui-même. Il doit la maintenir en s’achetant, quitte à recourir aux usuriers, les mêmes complaisances. Il est une manière de fermier général, mais dont les obligations n’auraient rien de ferme. Pressé de s’enrichir, il pille de son mieux ses administrés. De même que le Sultan s’appuie sur le groupe des tribus guich, le caïd s’appuie dans la tribu sur un parti, un çof. Avec son aide, il exploite le reste. Ses alliés de la veille ne sont d’ailleurs pas toujours ceux du lendemain : et l’histoire des gens du Bled est celle d’une politique dont le but est d’extorquer, de dépouiller, d’emprisonner un notable pour vendre à sa famille sa libération. Si le caïd devient trop insupportable, un parti fait une surenchère à la Cour,

  1. Le Gharb, Archives Marocaines, vol. XX. — M. Ed. Michaux Bellaire.