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donc, petit soldat de l’armée innombrable. Tes livres sont tes armes, ta classe est ton bataillon, le champ de bataille est la terre entière, et la victoire est la civilisation humaine. Ne sois pas un soldat sans courage, ô mon petit Henri ! »

Plus loin, de la même manière large et puissante, il peint la fresque où figurent tous ceux qui se sont sacrifiés pour le bien des enfans. C’est le jour des Morts ; et la gloire des auréoles illumine la tristesse des deuils. « Sais-tu, Henri, à quels morts vous devriez tous penser en ce jour, vous autres, les enfans ? A ceux qui sont morts pour vous, pour les enfans, pour les tout petits. Combien sont morts pour vous ; et combien meurent tous les jours ! As-tu jamais pensé à tous les pères qui ont usé leur vie au travail, à toutes les mères descendues dans la tombe avant le temps, épuisées par les privations auxquelles elles se sont condamnées pour élever leur fils ?… Pense à tous ces morts en ce jour. Pense à tant de maîtresses qui sont mortes jeunes, consumées par le labeur de l’école ; aux médecins qui sont morts de maladies contagieuses, affrontées pour guérir les enfans ; pense à tous ceux qui, dans les naufrages, dans les incendies, dans les famines, au moment du péril suprême, ont cédé aux enfans le dernier morceau de pain, la dernière planche de salut, la dernière corde qui pouvait les sauver des flammes : ils sont morts joyeux de leur sacrifice, qui conservait la vie à un innocent. Ils sont innombrables, Henri, ces morts ; chaque cimetière en renferme des centaines ; s’ils pouvaient se lever, ils crieraient le nom d’un enfant… : martyrs héroïques et obscurs, si grands et si nobles, que la terre n’a pas assez de fleurs pour orner leurs tombeaux. Tant vous êtes aimés, ô enfans ! Pense aujourd’hui à ces morts avec reconnaissance, et tu seras meilleur pour ceux qui te chérissent et qui peinent pour toi, ô mon fils heureux, qui en ce jour des Morts n’as encore personne à pleurer ! »

La destinée de ceux qui écrivent pour les enfans n’est pas aussi tragique : ne craignons pas cependant d’évoquer à leur propos les deux images que De Amicis nous présente : s’ils ont aidé, de bonne foi, le long cortège des écoliers dans sa lente ascension, ils ont le droit de prendre place parmi les bienfaiteurs auxquels il convient de penser avec reconnaissance. Celui qui, dans un journal à bon marché, d’une plume malhabile, a su émettre une idée appropriée à l’intelligence des petits, à su