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UNE VILLE ALSACIENNE.

Tout semble reposer. Dans le fond, une petite ville calme émerge d’un nid de feuillage, avec des tours, des clochers, des remparts, à l’abri de collines que couvrent les vignobles pourprés, et que domine la masse perdue des bois plus lointains. Cette petite ville calme, c’est Wissembourg. Ô Wissembourg, qui t’appelles château de la sagesse ou encore château blanc, Wissembourg où Marie Leczinska, ignorante de son destin, passa les plus heureuses années de son existence, mélancolique Wissembourg endormie dans la grâce du XVIIIe siècle français, de quel accent tragique tu résonnes aujourd’hui dans nos cœurs !

I

En 623, Dagobert Ier, roi d’Austrasie et fils de Clotaire II, fonda, un peu avant son avènement au trône de France, une abbaye de Bénédictins, au pied des Vosges, sur les bords de la Lauter, dans le Spiregau. Le pagus spirensis, extrême limite méridionale pour les Francs de la rive gauche du Rhin, confinait, près de la Sauer, à la région des tribus alémaniques d’Alsace. L’abbaye prit le nom de Wissembourg, que l’on explique de deux manières. Il lui serait venu, selon certains, de la réputation de science et de discipline que méritaient les religieux, et signifierait alors : Château de Sagesse. Selon d’autres, il lui viendrait des ruines blanches d’une petite forteresse romaine, qui se trouvait à quelque cinq cents mètres, sur l’emplacement du village d’Altenstadt, et signifierait : Château Blanc. Pour la distinguer d’autres Wissembourg, on la nomma, plus tard, Cron-Wissembourg, à cause d’un grand lustre en couronne, cadeau de Dagobert II, et plus tard encore Wissembourg sur le Rhin, bien que le Rhin fût à quatre lieues. Dotée, autour de la Lauter, d’un vaste territoire privilégié, le Mundat, long de vingt kilomètres entre l’Est et l’Ouest, large de seize entre le Nord et le Sud, et qui comprenait onze villages et de nombreux hameaux, l’abbaye, exempte d’impôt, avait le droit de battre monnaie, et d’élire librement l’abbé qui était prince de l’Empire. On n’en citait pas de plus riche en Alsace, car elle avait encore, en dehors du Mundat, de fécondes possessions, en Lorraine, dans le Palatinat, et dans le pays de Bade. Elle fut longtemps un asile de paix et de travail. Alors que l’empire carlovingien se dissolvait, un jeune moine alsacien, Otfried,