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qui, par ses études à Saint-Gall, s’était rendu maître dans les arts libéraux, jeta sur elle un grand éclat. Le premier, il essaya de restreindre le culte exclusif que l’on rendait aux lettres latines, et d’assujettir le barbare idiome franco-germanique aux règles de la grammaire et de la prosodie. Il écrivit dans ce dessein beaucoup de sermons, de poésies et de lettres, mais surtout une sorte de Messiade, le Christ, paraphrase du Nouveau Testament en strophes variées, mêlée de réflexions morales ou historiques, et qui est, dans l’Europe chrétienne, le plus ancien témoignage poétique du vieil allemand. Il l’avait offerte à Louis le Germanique par une dédicace en doubles acrostiches, dont les vers, divisés en quatrains, commencent et finissent par les mêmes lettres, de manière à former de côté et d’autre cette phrase latine : Luthovico orientalium regnorum regi sit salus æterna.

Cependant, attirés par la renommée des religieux et aussi par la fertilité paisible de l’endroit, des habitans se groupaient autour de l’abbaye : un hameau naissait, qui s’agrandissait en village, puis devenait une ville entourée de murs et de fossés, comme l’abbaye qui avait sa propre enceinte, avec ses propres portes. En Alsace, beaucoup de villes se sont ainsi élevées autour d’une institution conventuelle, Munster, Marmoutier, Masevaux, Andlau, entre autres. On découvre pour la première fois, au XIIIe siècle, dans les chartes, mention de la cité de Wissembourg. Il arriva ce qui arrivait partout où une ville s’établissait à l’abri d’un monastère. Toute jeune, la ville acceptait sa protection ; adolescente, elle cherchait à s’en délivrer et à conquérir l’indépendance, et leur histoire à toutes deux n’était plus dès lors qu’une suite de conflits, où l’Empire, tour à tour, soutenait l’une pour affaiblir l’autre. Souvent même, quelque électeur du Rhin, évêque ou laïque, supplantait à son profit l’Empereur trop éloigné ou trop embarrassé par des affaires plus importantes. Ainsi dès 1292, Wissembourg, qui déjà en 1274 avait accédé à la ligue des villes rhénanes avec Colmar, Haguenau, Schlestadt, se détacha complètement du monastère. La voilà donc ville libre et impériale, inaliénable et irrévocablement incorporée à la préfecture d’Alsace. Ses habitans se divisent en patriciens, qui, jusqu’à Charles IV, posséderont seuls les emplois et dont les maisons seront franches, et en bourgeois, partagés en sept tribus, vignerons, tisserands, serru-