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UNE VILLE ALSACIENNE.

lit des livres de dévotion, d’histoire et de géographie, se levait entre huit et neuf en hiver, et s’habillait aussitôt. Elle se rendait alors chez sa mère ; la famille royale entendait la messe, puis déjeunait entre onze et midi, sauf le Roi qui dînait seul. La lecture, la promenade occupaient le reste de la journée, et aussi les ouvrages à l’aiguille, comme tapisseries et ornemens d’église qu’on offrait aux églises. Marie eût été la fille de l’ancien propriétaire, M. Weber, qu’elle n’eût pas vécu autrement. Encore son vrai père n’avait-il aucune fortune et recevait du roi de France tout juste vingt mille écus.

Et ce père voudrait bien marier sa fille… mais qui donc prétendra à la main de cette enfant ? Lui, pauvre roi détrôné, oublié au bout de la France, ressemble à ces petits hobereaux qui ne sont guère plus que leurs paysans ; quel beau-père peu glorieux il ferait ! Pourtant il ne songe qu’à cela. Marie ne paraît pas s’en soucier… Elle a bien une fois considéré avec intérêt le marquis de Courtenvaux, qui sera plus tard le maréchal d’Estrées, mais le duc d’Orléans s’est opposé à ce projet, déclarant que l’honneur de la France et des têtes couronnées ne pouvait tolérer que la fille de Stanislas descendît jusqu’à un simple colonel. On ignore si Marie en souffrit. Priant, brodant, elle soignait le jardin, s’y promenait, s’y reposait, assise à sa table de pierre. Les saisons se suivaient, ramenant des tableaux qui lui étaient chers, les montagnes couvertes de neige, les forêts givrées, la Lauter glacée, la petite ville toute calfeutrée autour des grands poêles de faïence ; le printemps qui s’éveille, et tout le jardin qui n’est plus, avec les fleurs de ses arbres fruitiers, qu’une voûte blanche et rose ; les belles nuits semées d’étoiles, avec la lune qui bleuit la campagne, les champs du Geisberg où ondulent les blés ; les premières feuilles qui tombent, la vigne qui rougeoie, et bientôt, avec les bois dénudés, les pluies, la tristesse, le silence. Stanislas cherchait toujours un gendre. La Margrave de Bade lui refusait son troisième fils ; il ne réussissait pas mieux avec le comte de Charolais. Et tout d’un coup, par suite d’une intrigue de favorite, Stanislas apprend que le duc de Bourbon veut épouser Marie. Mme de Prie, maîtresse du duc, consent, sûre que sa puissance ne sera pas menacée par cette princesse trop vertueuse… Stanislas nage dans le ravissement. Marie, obéissante, se préparait à devenir duchesse de Bourbon. Cependant il n’y avait aucune