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demande officielle. Le portrait que Gobert, membre de l’Académie royale de peinture, s’en alla peindre de la princesse à Wissembourg, avança brusquement les choses, et dans un tout autre sens. Le duc et Mme de Prie jugèrent Marie si facile à dominer, qu’ils la destinèrent au Roi.

On connaît l’anecdote : « Stanislas entra chez sa fille, ivre de joie et criant : Ma fille, tombons à genoux et remercions Dieu ! » Elle crut d’abord que la Pologne rappelait son Roi. Mais Stanislas lui répondit : « Le Ciel nous est bien plus favorable ; vous êtes reine de France[1] ! » En France, cependant, on s’irritait ou l’on riait, parce que le Roi épousait une simple demoiselle, Stanislas n’ayant été que roi électif et un roi électif n’étant pas considéré comme un vrai Roi. Mais Wissembourg entier se réjouissait : les magistrats présentaient leurs hommages, on chantait le Te Deum dans les églises, on distribuait aux pauvres du pain et du vin, on tirait des feux d’artifice, on dansait. La princesse partit pour Strasbourg, puis de là pour Fontainebleau. D’autres événemens allaient agiter Wissembourg et rendre son nom célèbre.

Ville du XVIIIe siècle, Wissembourg était une ville de guerre. Elle le fut, dès sa réunion à la France, et avec un consentement si unanime, qu’ici les jeunes gens, encore plus que dans le reste de l’Alsace, ne concevaient pas d’autre métier que le métier des armes. On naissait soldat. Ce sera beaucoup parmi les solides paysans des environs que Napoléon recrutera ses cuirassiers, carabiniers et hussards, qui revenaient souvent officiers, la croix sur la poitrine et, quand, en 1813, il faudra trouver des cavaliers volontaires, le seul arrondissement de Wissembourg en fournira une centaine. Aujourd’hui Wissembourg allemande compte dans nos régimens plus de cinquante officiers supérieurs. Tout entraîna vers l’armée les habitans dès que sa destinée fut française. Située à l’extrême frontière, elle commande l’entrée en France, si l’on vient d’Allemagne, car une trouée découvre le pays sur une étendue de dix-huit kilomètres, jusqu’à Lauterbourg. Elle commande l’entrée en Allemagne, si l’on vient de France. C’était cela surtout que les Allemands voyaient en elle : une porte ouverte sur l’Allemagne. Aussi ce coin de Wissembourg, qui meurtrissait si profondément la chair

  1. À travers l’Alsace, par M. André Hallays. Librairie académique Perrin.