Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/924

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
920
REVUE DES DEUX MONDES.

un peu en dehors de la ville, à droite, quand, au sortir de la gare on s’engage sur la route du Geisberg. Si calme, même pas entouré de murs, des plantes grimpantes nouées au long de ses grilles, il ressemble au calme jardin d’un bourgeois renté qui aimerait les fleurs. On pourrait passer devant la porte sans se douter que c’est la demeure des morts ; il faut le savoir, ou qu’un homme du pays vous saisisse en quelque sorte par la main, vous y conduise et vous dise : Entrez ! Une large pierre rose, que surmonte une colonne, recouvre la terre où est enseveli, avec ses deux fils, le général Abel Douay ; sur d’autres pierres, sur d’autres colonnes, se lisent des noms d’officiers, jeunes capitaines, jeunes lieutenans, tués dans la journée du 4 août ; d’autres pierres, d’autres colonnes commémorent l’infortune de ces héroïques soldats. Étroits rectangles de gazon où des mains pieuses répandent les fraîches fleurs de la saison, voilà vraiment le tombeau de l’Alsace française. Ce cimetière ne contient pas, comme les autres cimetières, que des corps sans vie, mais toute l’Alsace perdue et toute la grandeur écroulée de la France.

…Ô Wissembourg, qui t’appelles Château de la Sagesse ou encore Château Blanc, Wissembourg où Marie Leczinska, ignorante de son destin, passa les plus heureuses années de son existence, mélancolique Wissembourg endormie dans la grâce du XVIIIe siècle français, de quel accent tragique tu résonnes aujourd’hui dans nos cœurs !

Paul Acker.