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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/123

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passionnée que jamais, par un savant de réelle valeur, le professeur Engel, de Berlin. Familier des littératures étrangères, de l’anglaise et de la française principalement, cet écrivain s’est affranchi, dans sa récente biographie de Goethe[1], des traditions, sur certains points trop étroites, qui président encore trop souvent aux commentaires de la critique gœthéenne au delà du Rhin. M. Engel aime de tout son cœur le plus grand poète de sa patrie, mais il regrette amèrement que ce poète ne soit pas demeuré, sa vie durant, le protagoniste et le coryphée de la première génération romantique en Allemagne, le génie par excellence de l’époque dite « des génies » dans l’histoire littéraire allemande, l’assaillant le plus ardent de cet assaut à la tradition esthétique et morale que fut le Sturm und Drang, l’homme d’avant Weimar en un mot. Une pareille disposition d’esprit entraîne nécessairement le professeur berlinois à dénigrer l’influence de Weimar et par conséquent l’action de Mme de Stein dans la vie de Goethe, de même qu’il déplore, par la suite, son fameux voyage italien, dont le résultat aurait été de « dégermaniser » fort malencontreusement l’ancien élève strasbourgeois de Herder, l’apologiste éphémère de l’art gothique allemand.

En revanche, certaines tendances morales, aujourd’hui fort actives autour de nous, conduisent M. Engel à magnifier en Christiane Vulpius, — cette petite fleuriste qui fut dix-huit ans la maîtresse et la ménagère du grand homme avant d’être tardivement épousée par lui en 1806, — la compagne prédestinée à sauver de Gœthe, le Poète, ce qui en pouvait être encore sauvé après son activité ministérielle à Weimar, l’influence de Mme de Stein, le voyage au delà des monts et ses absorbans travaux d’amateur en matière de science naturelle, travaux qui lui prirent, comme on le sait, tant d’heures précieuses dont il aurait pu mieux profiter. Il y a certes une tentative fort intéressante dans cette interprétation poursuivie avec une érudition impeccable, une réelle finesse de vues, une fougue d’expression vraiment remarquables. C’est une justice que nous tenons à rendre à ce prestigieux biographe de Gœthe avant de combattre quelques-unes de ses conclusions.

Que le professeur Engel soit au surplus retourné à la charge

  1. Gœthe. Berlin, 1910.