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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/128

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Ajoutons enfin, pour achever le portrait de Mme de Stein, qu’il nous reste d’elle plusieurs de ces « silhouettes » dont les dessinateurs de l’époque savaient découper si habilement les contours. Charlotte nous y apparaît, ainsi que sa sœur, la belle Louise d’Imhoff, sous ces vastes coiffures ou chapeaux Louis XVI que Mme Vigée-Lebrun peignait alors sur ses toiles charmantes, et ces documens trop sommaires nous parlent néanmoins d’élégance et de séduction.


II

Par la vertu de ses grands yeux calmes et de sa douce gravité, Mlle de Schardt fit à vingt-deux ans un beau mariage. Elle fut distinguée par le baron Josias de Stein-Kochberg, de bien meilleure noblesse qu’elle-même, de sept ans seulement plus âgé, pourvu d’une fortune suffisante en terres et peu après d’émolumens honorables en raison de sa charge de cour, celle de premier écuyer ou de grand-écuyer (Oberstallmeister) du duc de Weimar. Son domaine de Kochberg, situé à sept lieues environ de cette petite capitale, dans une région montagneuse, était un fief de haute et basse justice, très vaste, quoique de médiocre rapport, et s’étendant jusque dans l’enceinte de la ville voisine, Rudolstadt. Son château du XIIe siècle, légèrement modernisé, avait encore fière tournure.

Si Mme de Stein demeure une figure historique dont il est difficile de pénétrer tout le secret, M. de Stein pose devant la postérité une énigme beaucoup moins attachante sans doute, mais presque également irritante. Quand les lettres enflammées de Goethe à Charlotte eurent été révélées au public, on fut tenté de tenir Josias, ami cordial du galant de sa femme, soit pour un butor ridicule, soit pour un mari complaisant. On s’aperçut bientôt qu’il n’était ni l’un ni l’autre, car il avait été fort estimé de son vivant. Parlant le français de façon courante, musicien de quelque goût, capable de tenir son rôle avec succès dans les ballets de cour, jouant au besoin la comédie, il était surtout homme de sport, de chasse et de cheval, comme l’exigeaient ses fonctions officielles. Lorsque Charles-Auguste devint majeur, sa mère lui laissa le choix, pour la charge de premier écuyer, entre Stein alors âgé de quarante ans et un autre gentilhomme de leur entourage ; proposition à laquelle le jeune duc répondit : « Chère