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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/127

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au temps de sa jeunesse ? Peu de chose, car les médiocres dessins que nous possédons de ses traits, le plus souvent de sa propre main, se rapportent tous à une période plus avancée de sa vie. Elle était assurément de petite taille. Vers sa trentième année, deux ans avant sa rencontre avec Gœthe, le médecin Zimmermann, dont nous dirons le rôle dans sa destinée, la décrivait en ces termes à Lavater : « Elle a d’immenses yeux noirs de la plus grande beauté. Sa voix est douce et contenue. Le sérieux, la douceur, l’amabilité, la vertu souffrante, une sensibilité fine et profondément imprimée dans son âme se lisent sur son visage au premier coup d’œil. Les manières de cour qu’elle possède au plus haut degré apparaissent chez elle ennoblies par une rare et haute simplicité. Elle est très pieuse et trahit de touchantes aspirations mystiques. En observant sa légère démarche de zéphyr, son adresse aux danses de caractère, tu ne devinerais pas, ce qui est pourtant très certain, que vers minuit le silencieux clair de lune remplit son âme d’un ravissement divin. Elle a un peu plus de trente ans, beaucoup d’enfans et des nerfs faibles. Ses joues sont très rouges, ses cheveux sont noirs, son teint est italien comme ses yeux. Elle a quelque maigreur : toute sa personne est élégante avec simplicité. »

Il faut nous contenter de ce signalement qui ne manque pas de précision au surplus et qui n’est nullement influencé par la destinée ultérieure de Mme de Stein, puisqu’il précéda sa rencontre avec Gœthe. Les frères Stolberg venus à Weimar sur l’invitation de ce dernier à la fin de 1775 diront simplement de Charlotte qu’elle est belle et charmante (allerliebst). En revanche, Schiller affirmera plus tard, en 1787, qu’elle « ne peut jamais avoir été belle ! » Mais elle avait alors quarante-cinq ans, elle venait de subir le plus grand chagrin de sa vie par la fuite de Gœthe vers l’Italie, et l’appréciation du second des grands poètes allemands nous reste suspecte. Au surplus, et c’est là une notation fort topique du professeur Engel, il est remarquable que Gœthe ait presque toujours préféré à la beauté proprement dite l’expression de la grâce et de la bonté chez les femmes qui l’ont attaché tour à tour. Dès son adolescence, il écrivait de Leipzig à sa sœur, en français : « Pour la beauté, elle ne me touche pas, et vraiment toutes mes connaissances sont plus bonnes que belles. »