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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/132

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le charme de la baronne pour lui écrire encore, deux ans après leur première rencontre : « Partout où j’ai passé au cours de mon récent voyage, madame, en Allemagne, en France, à Genève, j’ai trouvé l’occasion de parler de vous ! »

Cependant Knebel, ce major prussien doublé d’un poète romantique qui avait accepté du service à la cour de Weimar, étant revenu dans cette petite ville en décembre 1774, après ses premières visites à Goethe, avait entretenu Mme de Stein de la puissante personnalité du jeune écrivain. Celle-ci s’adressa par lettres à Zimmermann pour lui avouer sa curiosité sur ce sujet : « Avez-vous lu Clavijo, écrivait-elle, c’est un morceau excellent ! » Quant à Werther, elle expliquait que le livre avait été trouvé dangereux dans son entourage, mais elle ajoutait que Wieland l’appréciait néanmoins, bien qu’il eût été personnellement fort maltraité par l’auteur dans un morceau satirique publié quelques mois auparavant. — Zimmermann répondit le 19 janvier 1775 en dépréciant Clavijo, mais en portant Werther jusqu’aux nues. Il ajoutait : « Vous désirez que je vous renseigne sur Goethe et vous souhaiteriez de le voir ! Je vais donc vous parler de lui. Mais, ma pauvre amie, vous ne songez guère à ce que vous osez là ! Vous demandez à le connaître et vous ignorez à quel point ce personnage aimable, ou plutôt enchanteur, peut vous devenir dangereux ! » Le médecin avait joint à sa lettre une silhouette du jeune poète « à la physionomie d’aigle, » selon son expression imagée, et il poursuivait cependant : « C’est un grand génie, mais c’est aussi un terrible homme. Une femme du monde qui l’a rencontré souvent me disait de lui : Gœthe est l’homme le plus beau, le plus vif, le plus original, le plus ardent, le plus impétueux, le plus doux, le plus séduisant, et, pour un cœur de femme, le plus dangereux que j’aie jamais vu de ma vie. » Voilà des semences qui manquent rarement de germer dans l’imagination d’une femme quelque peu déçue par une première expérience d’amour.

Quelques mois plus tard, Zimmermann revenait d’ailleurs sur ce thème attachant auprès de sa correspondante, et de quelle façon insistante, on va le voir : « A Strasbourg, j’ai choisi votre silhouette entre cent autres pour la soumettre à l’examen de M. Goethe. Or voici les paroles qu’il a écrites de sa main au-dessous de l’image : — Ce serait un magnifique spectacle que de voir comment le monde se reflète en cette âme. Elle sait le voir