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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/134

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A Weimar ce 6 mars 1776.

D’un jour à l’autre, cher ami, j’ai voulu vous écrire et vous remercier de votre lettre du 29 décembre de l’année passée, et me voilà presque un quart d’an, dans la présente, sans vous avoir payé le reste de ce que je vous devais de l’ancienne. Je serai à jamais malgré moi votre débitrice en tout jusqu’à la fin de ma vie.

Le retour du printemps, j’espère, vous rendra plus content de votre santé que vous ne l’étiez il y a quelques mois et vous tirera de cet abattement de l’âme qui est le pire de tout et dont je sais aussi chanter quelque chose, avec cette différence que je n’ai rien à perdre comme vous autres génies. Dernièrement au soir et hier à midi, Wieland a soupe et dîné chez moi et devient de bon cœur votre ami. Je dois son amitié à Goethe et le tout à vous.

Nos souhaits pour Herder sont accomplis. Je pourrais bien vous chanter ici quelque chanson politique, mais à quoi bon ?

Gœthe est ici un objet aimé et haï, vous sentirez qu’il y a bien de grosses têtes qui ne le comprennent pas. Louise (la duchesse) augmente pour moi de jour (en jour) en amitié, mais beaucoup de froideur entre les époux, pourtant je ne désespère pas : deux êtres si raisonnables, si bons, doivent enfin s’accorder.

Au moment où Gœthe m’envoie votre billet, je vous ai déjà confessé mes péchés. Adieu, avant le départ de la poste, je vous dirai, cher ami, encore une fois bonsoir et bonjour.


« Je viens maintenant vous souhaiter une bonne nuit. Je n’ai pas été au concert avec Gœthe ce soir. Il y a quelques heures, il entra chez moi, me donna pour vous le billet ci-joint et se montra fort agité par votre lettre qu’il se mit à me lire. (Il s’agit sans doute ici d’une lettre de remontrances sur les folies que la voix publique prêtait à Gœthe au début de son séjour weimarien, et qui suscitaient, vers le même temps, un autre avertissement de Klopstock au jeune poète.) Je pris votre défense : je lui avouai que je désirais fort moi-même qu’il corrigeât quelque peu cette attitude désordonnée qui le fait juger par les gens d’ici tout de travers. Au fond, il n’y a pas là autre chose que chasses, rudes chevauchées, claquemens de fouets, le tout en compagnie du duc. Certes, ce ne sont pas là ses inclinations