Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’avoir abandonnée, avec la vivacité que je vous ai dite, il me revint avec une surabondance d’amour. J’ai été conduite à bien des réflexions par son attitude. Plus un homme peut comprendre et embrasser par l’esprit, me semble-t-il, plus l’ordre général de la société lui devient à charge et plus facilement il délaisse les voies consacrées par l’expérience. Certes, les anges tombés du Ciel devaient avoir plus d’intelligence que les autres !

« Ecrivez-moi d’un mot si vous serez à Hanovre à la Saint-Jean ou faites-le-moi dire par Gœthe. Je suis venue par notre cher Gœthe à écrire en allemand, comme vous le voyez et je le remercie de ce qu’il fera encore de moi dans la suite. Quand il est ici, en effet, il vit sans cesse à mes côtés. Récemment, je l’appelai mon Saint et là-dessus, il m’est devenu invisible. Il est disparu depuis quelques jours et vit sous la terre, à cinq milles d’ici, dans les mines... Je ne sais si je vous ai dit que Gœthe et moi, nous avons été parrain et marraine chez Wieland : notre filleule est une jolie petite fille qui ressemble entièrement à une enfant que j’ai perdue et que j’aimais beaucoup. Je me figure qu’elle est revenue au monde chez les Wieland, et c’est pourquoi je la considère tout à fait comme mienne. Lenz, l’ami de Gœthe, est ici, mais ce n’est nullement un Gœthe... Bonsoir, mon cher Zimmermann. Pardon pour toutes les inutilités dont j’ai bavardé avec vous. »

La lettre est en effet moins significative que la précédente. Mais l’amitié amoureuse perce désormais à toutes les lignes dans ce document malgré tout si précieux, et nous allons dire comment se développèrent des sentimens déjà fort enracinés dans ces deux âmes après six mois seulement de vie commune.


V

Les pages que nous venons de traduire en partie nous permettent en effet de pressentir ce trait éducateur et moralisateur qui reste au total le plus saillant dans la physionomie intellectuelle de Charlotte. Quand on se prend à étudier de près son caractère, elle fait songer nécessairement à Mme de Maintenon, bien qu’elle soit certes fort inférieure par la culture de l’esprit à la fine moraliste qui résuma l’expérience psychologique de notre grand siècle rationnel et chrétien. Mais peut-être fut-elle en revanche l’égale de la grande marquise par la fermeté du