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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/144

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ma besogne et aux difficultés quotidiennes qui m’attendent ! » — Certes c’est là une des apogées de l’intermittent moralisme de Goethe, une des plus belles heures de sa carrière terrestre.


VII

C’est ainsi que les cinq premières années du séjour de Goethe à Weimar s’écoulent sans incidens bien notables. Il n’adresse guère à Charlotte en ce temps que de beaux poèmes lyriques improvisés ou de courts billets de circonstance, si ce n’est toutefois pendant le voyage qu’il fait en Suisse avec le duc à la fin de l’année 1779. A ce moment, en effet, de longues lettres renseignent son amie sur l’itinéraire des voyageurs et sur les incidens de la route ; les autres effusions de sa plume sont de ton fort chaleureux, mais de contenu insignifiant le plus souvent, car c’est de vive voix que s’échangent naturellement les confidences intimes entre voisins séparés par quelques mètres à peine. Côte à côte ils figurent dans les divertissemens de la cour, par exemple dans cette redoute de carnaval[1] où Gœthe paraît en taffetas gris, représentant le Sommeil, tandis que Mme de Stein incarne la Nuit, M. de Stein, le Vin, Ernest de Stein, le second fils de Charlotte, un des quatre tempéramens humains, enfin, le duc de Weimar, dans un beau costume espagnol, le coryphée de la mascarade. Ajoutons que la belle et bonne artiste lyrique Corona Schrœter tient alors une certaine place dans la vie de Gœthe, concurremment avec l’épouse du Grand Écuyer, car le journal quotidien du ministre nous tient au courant de ses fréquentes rencontres avec la cantatrice. ; Les détracteurs de Charlotte ont même avancé que la baronne se montra fort jalouse de cette dangereuse rivale et qu’elle finit par sacrifier sa vertu à son jeune ami, afin de le fixer plus sûrement auprès d’elle. Mais son biographe le plus copieux jusqu’ici, Duentzer, a consacré tout un volume[2] à réfuter cette assertion que rien ne semble en effet confirmer de façon sérieuse, ainsi que nous allons mieux le dire par la suite.

Il est certain toutefois que l’hiver de 1781 apporte dans ces relations, déjà d’ancienne date cependant, comme une recrudescence de cordialité dont les motifs n’apparaissent pas très

  1. Duentzer, Charlotte von Stein, 1, 147.
  2. H. Duentzer, Charlotte von Stein und Corona Schroeter, Stuttgart, 1876.