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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/145

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nettement au premier coup d’œil. Il nous faudra les rechercher de notre mieux dans la correspondance de Gœthe, seul témoignage auquel nous puissions nous fier sans scrupule. — Cette ère nouvelle semble s’ouvrir au lendemain du séjour de Gœthe au château de Neunheiligen, séjour dont nous avons parlé plus haut à propos des leçons de sagesse mondaine et de clairvoyance psychologique qu’il en sut tirer de façon si abondante. Le ton de sa correspondance avec Charlotte se modifie déjà visiblement pendant le début de ce voyage : ses lettres se font de loin moins ardentes et moins saccadées, plus expansives au contraire et plus doucement confiantes que par le passé. Il se déclare heureux de la détente que lui procure cette agréable excursion qui le délivre du souci quotidien des affaires. Il se dit joyeux de constater qu’il demeure en pleine possession de lui-même et n’a vraiment rien compromis jusque-là des réserves de forces mentales accumulées dans le passé par ses soins. Il propose successivement deux comparaisons quelque peu subtiles, mais caractéristiques, pour célébrer l’influence apaisante et moralisatrice qu’il reconnaît à son amie. Tout d’abord il s’identifie lui-même avec un repaire de brigands dont elle aurait chassé les hôtes dangereux, non sans peine, mais dont il importe grandement qu’elle continue d’assurer la garde, menacé qu’est cet asile de retomber aux mains de ses précédens détenteurs. — Ou encore l’ancien stagiaire au tribunal impérial de Wetzlar assimile de façon plutôt pédantesque l’action de son amie sur sa personne morale aux travaux d’une Commission impériale qui aurait été déléguée à la surveillance du budget de quelque petit souverain trop prodigue !

Il a reconnu que Charlotte l’aime mieux qu’il ne l’aime et il ajoute avec bonne humeur : « Pourtant, je ne renonce point à me mesurer avec vous sur ce terrain : je me sens même piqué au jeu et je prie les Grâces de donner à ma passion intérieure, puis de lui conserver ensuite la bonté essentielle qui est l’unique source de la beauté. Gardez-moi soigneusement pour le retour ce que vous avez de bon à me dire. A moi aussi les esprits du grand monde ont chuchoté à l’oreille bien des choses utiles à connaître. L’on m’a fait, sur moi-même et sur d’autres sujets encore, de bien précieuses ouvertures. J’espère vous trouver seule jeudi au débotté, et être tout à vous les premières heures. »