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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/176

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Dumouriez, exaspéré, menaçait la Convention. Le 12, il avait écrit une lettre comminatoire au président qui, consterné, l’avait communiquée à la seule Commission. Un instant, les intérêts des Girondins et des Dantonistes de la Commission y parurent identiques ; les uns et les autres avaient prôné le général, se l’étaient même disputé. On tint secrète la lettre et on décida qu’incontinent, Danton et son fidèle Delacroix, flanqués de quelques autres, partiraient pour la Belgique afin de ramener au devoir le compromettant Dumouriez.

Le général était resté en relations cordiales avec le tribun. Un an après, Robespierre tentera d’accabler son ennemi sous ce souvenir : s’il fallait l’en croire, Danton aurait été complice du général, lui aurait préparé les voies vers la dictature, aurait déchaîné l’émeute (avortée) du 10 mars pour lui donner un prétexte à intervenir à Paris avec ses armées. Tout cela me paraît fort peu vraisemblable. Danton ne rêvait point d’un César. Mais Dumouriez, qu’il estimait bon chef (il l’avait proclamé le 10 mars), était nécessaire à la défense.

C’était, à la Commission, Danton qui, le 14, avait demandé qu’on tentât de ramener le malheureux qui « avait perdu la tête en politique, » mais « conservait ses talens militaires. » Les envoyés « le guériraient » ou le « garrotteraient. »

Danton ne put joindre le général que le 20 à Louvain. Dumouriez venait d’être battu à Nerwinden et était hors de lui. Danton le prit dans ses bras, le « cajola » et obtint une rétractation écrite ; puis, le 21 mars, il reprit le chemin de Paris.-

Dumouriez n’avait pas été sincère. Danton parti, il se prépara à trahir. Les commissaires restés en Belgique le pressentaient. Dans trois lettres à Danton du 25, du 28 et du 29 mars, Delacroix signalait, à son ami, le général comme devenant décidément « dangereux » et concluait à l’arrestation. Ces lettres intimes suffiraient à nos yeux à détruire la légende de la « complicité » de Danton avec Dumouriez.

L’événement donnait raison à Delacroix. Le 26 mars, Dumouriez s’était, devant trois délégués des Jacobins, livré à des fanfaronnades séditieuses. Le 4 avril, ne rencontrant point, dans son armée, l’instrument qu’il avait espéré, il allait brusquement se réfugier dans le camp autrichien.

Ces événemens étaient gros de conséquences pour tous, pour Danton entre tous. Sans doute, la Gironde en restait atteinte.