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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/200

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parchemin ni à aucun disciple leurs crises suprêmes, leurs extases divines... » Nous voilà bien avancés !... « Il la faut deviner, » répond avec calme l’auteur des Grands Initiés.

C’est pour cela que j’appelais M. Edouard Schuré lui-même, du nom qu’il donne à ses héros, un grand initié ou un voyant. S’il appuie, comme je l’indiquais, sur l’autorité du passé l’essentiel de ses prophéties, il ne lui faut pas moins de vertu intuitive pour découvrir la doctrine ésotérique des anciennes religions que pour saisir directement la vérité primordiale. Une fois et l’autre, il devine. Il est un devin. Ses œuvres sont le résultat d’ « intuitions foudroyantes ; » il les a tirées des « troubles » et « orages » de sa pensée. Il écrit : « Si j’ai réussi à cristalliser quelques-uns de mes rêves les plus chers, ils sont tous sortis d’un profond abîme et d’un bouillonnement continu comme celui de la mer. » Voilà, pour un écrivain, des conditions de travail tout à fait particulières et, de nos jours, plus rares que jamais. Homère, quand il invoque et interroge la muse, je le soupçonne de sourire et de plaisanter joliment. Il n’est pas dupe de la fiction gracieuse qu’il organise. En outre, il songe premièrement à nous divertir. M. Edouard Schuré a d’autres ambitions : il prétend à la vérité. Il est plus crédule et il exige de nous une foi plus rigoureuse. Depuis le temps des prophètes, je ne crois pas que personne ait employé si résolument une méthode si impétueuse et prime-sautière.

Il m’intimide. Un homme qui, à tout moment, tient la vérité absolue et que ne touche, à nul moment, nul doute, a quelque chose, pour moi, de sublime et d’un peu inhumain. Je n’ai connu, de cette espèce, que Tolstoï : je l’admirais ; et il me déroutait. Encore y avait-il, chez Tolstoï, un arrangement positiviste. On a eu tort de le prendre pour un mystique. Afin de rester toujours en état de certitude, il supprimait les problèmes de la métaphysique ou de la science, les déclarait vains et, refusant une curiosité malsaine, il les anéantissait. Son dogmatisme, il l’avait établi dans un domaine assez restreint. M. Edouard Schuré, lui, ne se plaît que hors de ce domaine ; et c’est dans l’inconnaissable que, familièrement, il triomphe. Mais il ne sépare pas le connaissable et l’inconnaissable ; de sorte que ses affirmations, de nature mystique, trempent aussi dans la réalité modeste. Et voici notre malaise. Parmi ses affirmations, celles qui sont de qualité transcendantale, c’est bien : nous les acceptons comme, aussi volontiers, nous en accepterions d’autres. S’il nous dit que l’univers est un édifice à trois étages ; et, les étages, monde physique ou monde de la matière pondérable, monde des âmes ou monde des individualités sensibles et