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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/208

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en tous pays, examine. Il les pose, lui, et les résout d’une telle manière fulgurante, avec tant de rapide certitude, avec tant de prophétique facilité que nous ne les reconnaissons plus. Un dialecticien nous emmène avec lui et, quitte à l’abandonner avant l’arrivée, nous l’accompagnons un bout de chemin. Du moins, en cheminant près de lui, tremblions-nous de son espoir, de sa fatigue. Le mystique traverse en un instant les étendues ; et tout de suite il est parti : quand il est arrivé, là-bas, nous ne le voyons plus. S’il faut l’avouer, les nobles idées métaphysiques et le vaste rêve mental, qui emplissent magnifiquement le scénario de la Druidesse, ne me touchent pas beaucoup.

Ce qui me touche, dans ce drame poétique, c’en est la qualité nationale. L’Archidruide Katmor, je fais bon marché de lui, et de Bélen, son dieu solaire. Mais Celtil, âme héroïque et amoureuse de la Gaule, comme il nous émeut ! comme nous suivons, d’un cœur angoissé, la double tribulation de son héroïsme et de son amour ! Quand la belle Romaine, toute chargée de civilisation gréco-latine, est sur le point de le séduire, nous voudrions avertir le Gaulois. Cependant, nous savons le tour qu’ont pris les événemens, et que notre âme celtique, il y a deux mille ans, s’est naturalisée âme romaine. Nous le savons ; mais le paradoxe des vœux qui nous enflamment pour la Celtide condamnée ressuscite en nous l’angoisse du moment le plus pathétique de notre histoire, celui de la prime conquête, celui de la résistance finale et d’une mort suivie d’une rénovation prodigieuse. Quelle péripétie de la Gaule maternelle, agonisante et qui va revivre dans ses enfans élevés par ses ennemis !...

Eût-on deviné que l’idéologue des Grands Initiés serait sensible, et si profondément, à une telle aventure de patrie ? Il cherche la vérité primordiale, éparse dans les religions de l’univers... Oui ! mais (raconte M. Roux), en 4870, après les défaites, Wagner écrivit à Schuré : « Votre place n’est plus à Paris ; venez avec nous, en Allemagne ! » Schuré, né en Alsace, répondit : « Plus que jamais, je suis Français ! » A toute la philosophie primordiale et à toute la synthèse de l’ésotérisme, je préfère cette anecdote, si humaine, et cette vive intuition, ce choix qui n’est pas libre. Nos idées, avons-nous à les choisir plus arbitrairement que notre pays natal ?...


ANDRE BEAUNIER.