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« tuer le temps, » et que d’ailleurs il se promet bien de brûler dès qu’il l’aura fini ?


Mon livre est d’une telle nature qu’il ferait passer la nuit au lecteur ; mais le cynisme que j’y ai mis est outré, et dépasse les bornes que la convenance a mises à l’indiscrétion. Je dis tout, je ne m’épargne pas, et cependant je ne peux pas, en homme d’honneur, donner à mes mémoires le titre de Confessions, car je ne me repens de rien, et, sans le repentir, vous savez qu’on ne peut pas être absous... Ma Vie est un ouvrage dont on défendrait la lecture dans tout pays où on aime les bonnes mœurs. Je suis un homme détestable : mais je ne me soucie pas qu’on le sache, et je n’ambitionne pas l’honneur que la postérité me déteste. Il est vrai que le dit ouvrage est rempli d’instructions excellentes en morale ; mais à quoi bon, si les descriptions charmantes de mes péchés excitent les lecteurs plus à les faire qu’au repentir ?


Le vieil aventurier, comme l’on voit, ne se faisait pas d’illusions sur la portée morale de son livre : mais avec tout cela il ne l’a point brûlé, et le risque d’être en « détestation » à la « postérité » lui a semblé préférable à la perspective de comparaître simplement devant nous avec cette Duplication de l’Hexaèdre dont la juste critique avait naguère exposé l’imprudent Opiz à subir de sa part, durant des années, une « légion » sans pareille de « basses brusqueries. »


T. DE WYZEWA.


P. -S. — Je ne m’étais pas trompé, dans ma dernière chronique, en soupçonnant l’ « ancien chasseur de Lützow » de mêler une bonne part d’imagination à la vérité historique de ses curieux Souvenirs. Un de nos lecteurs a vainement cherché, dans les archives de la ville de Chartres, la moindre trace d’un prétendu complot organisé par des habitans de cette ville contre les troupes d’occupation prussiennes, durant l’été de 1815, et du terrible châtiment qui l’aurait suivi. Tout cela semble bien avoir été « rêvé » par l’ingénieux Wenzel Krimer, — mais sans que la fausseté de cet épisode de son récit doive nous empêcher de tenir pour exacte, dans son ensemble, la peinture que nous a laissée l’officier prussien du pesant régime d’oppression imposé aux Chartrains par l’armée victorieuse dont il faisait partie.