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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/294

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docteurs et prescheurs de son temps » et fait aspirer « les femmes et les filles elles-mêmes à ceste louange et manne céleste de bonne doctrine. » — « Les lettres, dit à son tour Dolet, sont cultivées plus qu’elles ne l’ont jamais été. Tous les arts s’épanouissent : tous les hommes sont comme portés vers la recherche de la vérité et de la justice. Maintenant ceux-là avancent partout, en pleine lumière, qui auparavant tâtonnaient misérablement dans les ténèbres. » — Cette joie de penser, d’écrire, de connaître, cette jouissance suprême d’une fête intellectuelle, d’une liberté d’esprit, jusque-là insoupçonnée, tel est bien le sentiment général. Il semble que l’humanité entière touche aux rives du bonheur, puisque les lettrés sont heureux. — Jamais aussi la production intellectuelle ne fut plus intense. Des cénacles partout, dans les villes d’université et dans celles de la bourgeoisie riche : à Orléans, Poitiers, Bordeaux, Bourges, Toulouse, Montpellier ou à Lyon, Nîmes, Tours, Grenoble ; une floraison superbe d’écrivains et de savans : cicéroniens comme Dolet, poètes comme Bourbon, Maigret, Duché, Voulté, historiens comme Bouchet, érudits comme Baïf, Danès, Bérauld ou Chéradame, éducateurs comme Cordier, juristes comme Alciat, Arlier, Scève et Boyssonné, médecins, astronomes, géomètres, philosophes, sans compter les deux plus grands, Budé et Rabelais, et derrière eux une armée grossissante de versificateurs, de grammairiens, de pédagogues, qui prennent rang aux côtés de l’homme d’église et de l’homme de cour, aristocratie du savoir dont tous les membres se connaissent, s’écrivent, se louent à l’envi, pouvoir nouveau de l’opinion qui va gouverner le Roi et avec le Roi : voilà le spectacle que la France donne à l’Europe. Comment cette génération nouvelle ne serait-elle point grisée de ses conquêtes ? Visiblement, dans le déclin de l’Italie, les déchiremens de l’Allemagne, la Renaissance française prend peu à peu le premier rang. Cela, nos écrivains le voient et le disent, et ce qu’ils remarquent encore, plus confusément, il est vrai, c’est que, dans cette période même où elle triomphe, son esprit se transforme et son horizon s’élargit.

A la fin du XVe, au début du XVIe siècle, la culture nouvelle n’avait guère été qu’un retour à l’antiquité latine. Après 1524, l’hellénisme va en devenir un des facteurs prépondérans. — Erudite et lettrée, la pensée classique ne s’était guère appliquée qu’à l’étude des langues ou de l’homme, des œuvres de l’esprit ou de