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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/295

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la vie morale. Après 1530, elle regarde vers la nature. Et assurément, elle l’observe encore à travers les livres de l’antiquité. Qu’importe ! si la curiosité scientifique est en éveil. En 1530, Oronce Fine publie sa Promethesis, manuel de mathématiques, de géométrie, de cosmographie. En 1535, Pierre Gilles va éditer ses seize livres « sur la force et la nature des animaux, » jetant ainsi les fondemens de la zoologie moderne. En 1536, Baïf va écrire de Re hortensi, premier essai d’une classification botanique. — Dernier trait dominant : la langue s’émancipe comme les idées. Si des érudits, comme Budé et Bérauld, gardant les défiances de l’homme cultivé contre le « parler vulgaire, » proclament la supériorité des langues anciennes, d’autres comme Seyssel, comme Champier, sont venus, viennent chaque jour, qui songent à « magnifier » la nôtre. La révolution religieuse qui commence va hâter encore le mouvement. L’idiome national avait pu être le vocabulaire, un peu dédaigné, des « rhétoriqueurs » et des chroniqueurs ; avec Lefèvre, Berquin, Farel, il devient l’interprète de la théologie. Toute une province jadis fermée lui est ouverte : la religion. Comment hésiterait-on à lui ouvrir les autres ? Et celles-ci s’ouvrent peu à peu, grâce à la diffusion de l’imprimerie, qui, en multipliant le nombre des lecteurs et des livres, invite les écrivains à s’adresser à tous, grâce à l’intérêt politique, qui dans l’unité de la langue voit une des formes de l’unité du royaume. En 1529, Robert de Tory rédige le premier plaidoyer en faveur du français, « une des plus belles et gracieuses de toutes les langues humaines. » Sept ans plus tard, Dolet écrira son Orateur français. Les grands écrivains vont à leur tour consacrer la primauté nouvelle. En 1531, Bouchet a composé ses Annales d’Aquitaine ; en 1532, Rabelais son premier livre de Pantagruel et Marot son Adolescence Clémentine ; en 1535, Calvin, l’Institution chrétienne. Ce n’est point seulement la langue qui se fixe, mais la littérature qui apparaît.

Une révolution intellectuelle aussi générale, aussi profonde, devait être forcément en contact avec la révolution religieuse. Elle la précède. Par certains faits, elle la prépare ; par certains traits, elle lui ressemble, — à ce point que quelques historiens ont pu dire que, jusqu’à Calvin, elles se confondent. — En réalité, par sa rupture avec la scolastique, son retour à l’antiquité chrétienne comme à l’antiquité classique, la Renaissance est elle-même une réforme. Elle n’oppose point seulement deux