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Mêmes aspirations à un christianisme spirituel. — Moins de dévotions, diront après Erasme nos humanistes, et plus de piété. Qu’on ne s’étonne donc point qu’ils soient hostiles aux pratiques ou aux traditions populaires. Elles choquent la croyance des uns, la raison ou le goût des autres. Ils n’admettent pas de vertu propre aux pèlerinages, aux observances, aux formes rituelles. Et s’ils n’entendent point proscrire les hommages rendus aux Saints, c’est de leur « culte idolâtrique » qu’ils s’indignent, « Pauvres gens, dira Grandgousier aux pèlerins, pensez-vous que la peste vienne de saint Sébastien ? Les faulx prophètes nous annoncent-ils telz abuz ? Blasphèment-ils en cette façon les piétés sainctes de Dieu qu’ils font semblables aux diables ? » « Honorer les Saints, écrira encore Budé, ce n’est point vénérer leurs reliques, mais imiter leur vie. » Voulté se moquera du merveilleux populaire, des statues miraculeuses, des vierges noires, ou des Christs qui « saignent. » Dolet raillera l’usage de plonger, en grande pompe, une croix dans la Garonne. Bourbon s’en prendra aux Saints qui guérissent. « Sois heureuse, écrira-t-il à la reine de Navarre, au moment de ses couches, et quand l’heure sera venue, ce n’est point Lucine, mais le Christ qui te protégera. » Allusion évidente au culte de sainte Marguerite. On connaît son ode célèbre « au Dieu puissant et bon, » critique acérée des abus de la doctrine, des mœurs, et aussi de la piété traditionnelle. Ces strophes contre les statues élevées « en l’honneur des dieux et des déesses, et qui multiplient les sectes et les cultes, en détruisant l’unité, » c’est presque l’accent « luthérien. »

Voilà bien les aspirations communes de l’humanisme français de 1530 à 1538, celles qui, de Budé à Dolet, de Rabelais à Marguerite de Navarre, lui donnent comme un air de famille. Elles forment ce qu’eux-mêmes appellent « la Doctrine évangélique » opposée aux u inventions humaines. » Un mot les résume, qu’ils prononcent, qu’ils écrivent, presque tous, avec amour : le Christ. — Mais que tous se disent chrétiens et fils de l’Eglise, cette communauté large d’idéal ne supprime point les différences de fond qui les séparent. L’individualisme de la Renaissance ne peut conduire qu’à l’individualisme religieux..

Sous l’unité très générale de la culture, se forment, à cette heure décisive, les courans qui vont entraîner le siècle et dissocier les élémens disparates dont le réformisme est constitué.