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II

Le premier, le plus ancien, est le courant érasmien : et son représentant le plus illustre est Guillaume Budé.

Si individualiste qu’il soit, on peut dire que, vers 1530, l’humanisme français a son chef. Par son âge, ses fonctions, ses œuvres, son crédit, Budé est en France plus qu’un nom, une royauté. Dolet lui dédiera ses commentaires. Erudits ou jeunes poètes le louent à l’envi, et le sollicitent parfois. Un billet de sa main, une invitation à Marly, sont les plus enviées des faveurs. N’est-il point « le prince de la philologie, » le créateur des études grecques, « l’honneur de son pays, » « le génie immortel » qui est pour la France « ce qu’Erasme est pour l’Allemagne ? » On le voit : un peu d’orgueil national se mêle à ces éloges. Mais assurément, Budé est un grand esprit à qui rien n’a manqué que d’être écrivain. Avec cela, honnête homme, un peu grave, le maître de requêtes de l’Hôtel du Roi est encore plus qu’une belle intelligence : une belle âme, et une âme chrétienne. Il a le goût des sciences sacrées ; si nous ouvrons le recueil de ses œuvres, de ses lettres, ses adminicula, cahiers intimes où il jetait pêle-mêle des notes, des citations, des réflexions, nous voyons combien en lui la science religieuse s’unit à la culture intellectuelle. Sa pensée est aussi bien nourrie des Prophètes, de l’Évangile, de saint Paul, que des philosophes ou des poètes. Les Pères de l’Eglise lui sont aussi familiers que Platon et Homère. Comme Erasme, il est vraiment le cerveau où catholicisme. Renaissance et Réforme vont le mieux se rejoindre, s’équilibrer, se concilier. A cet esprit encyclopédique, à ce moraliste austère, le problème religieux venait donc s’offrir de lui-même. Nous savons d’avance sous quel angle il l’envisagera. Ce qu’il rêve, ce qu’il veut, c’est enrichir la pensée religieuse par la Renaissance, purifier la Renaissance par l’esprit chrétien.

Que la culture classique pût s’adapter au christianisme, il n’est point de thèse que Budé ait plus souvent formulée, ni plus âprement défendue. Dès 1515, il l’ébauche dans le De Asse. Il y revient en 1529, dans son traité sur la Bonne Institution des études, comme dans ses dialogues sur la Philologie. Aussi bien, en 1530, la cause est gagnée. Nul ne songe plus à exclure la