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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/332

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avant de rentrer dans ses foyers, parce que, lui répétait son père avec insistance, quand on a parcouru la péninsule latine, on ne saurait plus être charmé de rien autre chose ici-bas ! Souvent l’écolier se faisait redire cette histoire anticipée de sa future jeunesse, récit merveilleux qui toujours s’achevait par une évocation enthousiaste du paradis italien et par un tableau rayonnant de la baie de Naples. La sécheresse habituelle au conseiller Gœthe semblait alors se fondre sous l’ardeur de ses souvenirs d’art ou de nature. Il se faisait, pour un instant, cordial et communicatif avec ses enfans.

Ces impressions déjà lointaines ressurgirent avec insistance dans l’esprit du ministre weimarien lors de sa seconde crise wertherienne, celle de 1786. Il pensa que l’Italie seule était capable de faire avec efficacité diversion aux sombres pensées qui l’envahissaient en ce temps, d’éclairer quelque peu ses perspectives, momentanément obstruées, d’avenir. Il est toutefois très singulier qu’il ait obstinément caché ce projet à Mme de Stein avec qui nous avons vu jusqu’où allait son ouverture de cœur, à propos des plus menus incidens de la vie ! Ce mutisme lui fut-il dicté par la prudence, par la crainte d’être retenu contre son gré, ou simplement par une appréhension superstitieuse, comme il l’affirmait plus tard à Eckermann ? Il est certain qu’à son avis, un projet annoncé avait la plus grande chance pour avorter dans l’œuf, et Charlotte écrira de lui, non sans quelque amertume, en 1797, alors qu’on lui prêtait le projet d’un nouveau voyage en Suisse : « Peut-être ne veut-il pas dire qu’il se rend encore en Italie, car il est dans son caractère de faire des secrets inutiles ! »

Quoi qu’il en soit des raisons de sa réserve, nous le voyons écrire de Carlsbad à son amie pour lui annoncer son départ, mais seulement à la veille de réaliser ce départ (en sorte qu’elle l’apprendra une fois la chose faite) et sans d’ailleurs lui indiquer en rien le but de son voyage, comme nous allons le voir. En outre, ses dernières lettres de Bohême sont assez maladroites dans le détail : « J’ai jusqu’ici, écrit-il le 1er septembre 1786, supporté bien des choses en silence et n’ai rien désiré si ardemment que de voir nos relations se régler de telle sorte que nulle puissance humaine n’ait désormais prise sur leur intimité. « Lui avait-il donc mis récemment le marché à la main et exigé sa séparation légale de Josias pour l’épouser, une fois rendue