Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

libre ? « Autrement, poursuit-il sous une forme assez tranchante, je n’aimerais pas vivre dans ton voisinage et je demeurerais plutôt dans la solitude éloignée du monde (?) où je me rends en ce moment. A la fin du mois, tu apprendras où tu peux m’écrire ! » — Puis le lendemain, 2 septembre 1786, c’est un adieu banal, après un court et inopportun bavardage sur les futiles incidens de la ville d’eaux ! Comment Charlotte n’aurait-elle pas été blessée jusqu’au fond de l’âme d’une si subite, si imprévue, si totale modification dans l’accent de son adorateur quotidien de onze années ? Il semble bien que le poète, affolé comme en 1774 par ses inquiétudes psychiques invincibles et par le besoin d’asseoir à tout prix sur des bases nouvelles son impérialisme vital, — à cette heure dépourvu de perspectives suffisamment toniques pour se maintenir en haleine, — n’ait plus été capable de mesurer ses gestes les plus décisifs et leurs trop certaines conséquences.

Mme de Stein ne se méprend nullement en effet sur la signification de ce départ, car c’est au lendemain de l’événement qu’elle copie, pour les ajouter à la collection des pièces lyriques manuscrites qu’elle tient de l’ami oublieux, les touchans vers français que voici :


De ce destin j’aurai joui.
La fortune pour mon partage
Me donna tous les biens du sage.
J’avais plus, j’avais un ami !

De l’amour j’ai senti la flamme,
Et les tourmens et les douceurs
Ont aussitôt rempli mon âme !
J’étais heureux : j’aimai : je meurs !


Et ces lignes tirées d’un autre morceau peut-être :


Tant qu’on reste belle on fait naître
Des désirs, des transports et des soins assidus.
Mais on a peu de temps à l’être
Et longtemps à ne l’être plus !


On a dit que les rigueurs persistantes de son amie et le besoin d’un amour plus complaisant à ses ardeurs décidèrent Goethe à ce brusque départ. Il est difficile de le croire quand on le voit mener, durant les premiers mois de son séjour italien, une vie de stricte continence, — et cela en vertu des plus