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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/387

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plaisantes, une certaine mollesse ; le ressort semble détendu. On en est à soupçonner que sa voix elle-même faiblissait. « Cette salle, déclare-t-il avec mauvaise humeur le 5 ventôse, est une véritable sourdine. Il faudrait des poumons de stentor pour s’y faire entendre. » Où était le temps où nulle salle ne l’effrayait ? Stentor, à coup sûr, s’essoufflait.

Cet affaissement n’échappait point à ses ennemis. Ils s’enhardissaient.

Longtemps le Comité avait hésité à frapper la plus forte tête de la République : tous ne tenaient pas l’homme pour coupable de lèse-révolution, à peine pour suspect.

Billaud seul (s’il faut l’en croire), dès frimaire, réclamait cette tête. C’était un ancien ami intime de Danton, partant le pire ennemi. « Rectiligne, » il n’admettait pas qu’on biaisât et, depuis un an, disait-il, Danton « biaisait. » Mêlé aux négociations avec Dumouriez après Valmy, Billaud avait cru pénétrer l’intrigue qui avait permis aux Prussiens de quitter sans être inquiétés le sol de France. Il y avait flairé une demi-trahison et, de ce jour, avait suspecté Danton de ne plus suivre « la ligne droite. » Ce qui est vrai, c’est que Billaud, étroit Jacobin, était moins fait que personne pour comprendre les nécessités de la politique : de ce que Danton eût pratiqué l’opportunisme, ce cerveau muré induisait qu’il trahissait et il ne cessait de dénoncer sa « trahison. »

Collot, autre ancien ami, s’était rallié à Billaud. Lui n’était point un « rectiligne, » mais un pur misérable. Il venait de se livrer, à Lyon, à une effroyable débauche de sang, que d’autres débauches rendaient plus odieuse. Revenant de ce charnier, il avait appris que le groupe Danton s’était indigné à haute voix des massacres de la plaine des Brotteaux. Il pouvait craindre qu’en cas de réaction, il ne les payât cher. « Avant peu, concluait-il, nous trouverons bien le moyen de conduire à l’échafaud Danton et tous ceux qui pensent comme lui. » Mais, longtemps, Collot et Billaud restèrent isolés.

Au Comité de sûreté générale, Danton avait plus d’ennemis. Vadier surtout montrait pour lui de l’horreur : ce vieillard affichait, malgré de séniles débauches, le culte de la vertu qui était à la mode. Il ne parlait que d’ « arracher le masque » au vice, pour qu’on ne songeât point à toucher au sien. Amar et Vouland, personnages influens du Comité, suivaient Vadier,