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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/386

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les calomnies couraient. « Il achetait des biens immenses, ayant maintenant des millions ; il subventionnait le théâtre de la Montansier ; il menait une vie de bombance avec sa jolie femme. » En fait, il était désorienté, sentant que la partie décidément se perdait. Tous cependant sont d’accord pour dire que, des bancs de la Convention où l’on souffrait mal le « joug » du Comité, aux prisons de Paris, tout le monde, suivant le mot de Beugnot, « attendait de lui le salut. »

Alla-t-il, dans son dégoût, jusqu’à rêver le rétablissement du trône ? Couthon l’affirmera ; Boissy d’Anglas en fera plus tard mille contes. Il s’était écrié un jour : « Que Robespierre prenne garde que je ne lui jette le Dauphin à travers les jambes ! » Saint-Just fera allusion au projet. Mais ne dira-t-on pas gravement, le 10 thermidor, que Robespierre entendait se faire épouser par la fille de Louis XVI ? Danton ne voulait plus rien : tout faisait faillite.

Entre deux accès de neurasthénie, il se contentait de monter à la tribune pour y porter, toujours avec de singulières précautions, sa nouvelle politique. Elle ne s’inspirait parfois que du bon sens : un pétitionnaire étant venu, le 26 nivôse, à la barre de la Convention, chanter un hymne à la Liberté, Danton s’en plaignit avec une ironie amère et, le 26 ventôse, devant une autre manifestation de ce goût, il interrompit le chanteur avec une sorte de violence. « Je demande, conclut-il, que dorénavant on n’entende plus à la barre que la raison en prose. » Ce bon sens plut : on applaudit. Il parlait au nom d’une majorité qui, par peur, se taisait. Lui seul osait pour elle.

Mais c’est au discours du 5 pluviôse (24 janvier 1794) qu’il se faut arrêter. Ce fut la dernière tentative faite par lui pour « insinuer la modération » au nom même de l’autorité que lui conféraient ses services révolutionnaires. Il les rappela ; il avait bien fallu se rendre terrible « quand la République était menacée. » « Mais la République, ajoutait-il, n’est-elle pas formidable à tous ses ennemis ? N’est-elle pas victorieuse et triomphante ? » Il fallait « saisir ce moment pour éviter les erreurs et les réparer. » Il poursuivait cette idée lorsque, le 8 ventôse (26 février), il demandait l’épuration des Comités révolutionnaires, « peuplés de faux patriotes à bonnets rouges. »

Ce qui frappe dans ces derniers discours, c’est, en dépit de quelques phrases vigoureuses, de quelques sorties violentes ou