Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

innocent ? » Danton, stupéfait de tant d’inconscience, s’était tourné vers un des témoins de l’entrevue : «. Qu’en dis-tu, avait-il ricané, pas un innocent n’a péri ! » et il s’était brusquement retiré. Il était d’ailleurs revenu, avait conjuré Maximilien de s’unir à lui pour modérer un régime qui finirait par les faire périr l’un et l’autre. Robespierre avait montré une froide politesse.

Tout, chez Danton, l’exaspérait, jusqu’aux moindres gestes. Ne faisait-on point chez les Duplay un crime au tribun d’avoir, à Sèvres, taquiné Elisabeth Duplay qui, fort languissante d’anémie, raconte sa sœur Mme Lebas, était venue faire visite à Mme Danton ? Ce malappris n’avait-il pas pris par la taille la jeune amie de Maximilien en disant avec son gros rire : « Ce qu’il te faut, ma petite, pour être guérie, c’est un mari ? » C’étaient de toutes petites choses, mais qui augmentaient une antipathie déjà vieille du puritain contre l’homme aux propos libres. A plusieurs reprises encore, Desforgues, ancien clerc de Danton, qu’il avait fait ministre des Relations extérieures, essaya de réunir à sa table les deux hommes « pour anéantir, écrira-t-il, plus tard, ce qu’il croyait des préventions. » Loin de tomber d’accord, ils se livrèrent aux récriminations. Robespierre s’aigrissait de tous les propos, — parfois maladroits, — de l’intempérant tribun.


Le 8 ventôse (27 février), Saint-Just, rappelé de nouveau par Robespierre, lut à la Convention son rapport contre les « factions. » « Ce qui constitue la République, c’est la destruction de tout ce qui lui est opposé. On est coupable contre la République parce qu’on s’apitoie sur les détenus ; on est coupable parce qu’on ne veut pas de la vertu ; on est coupable parce qu’on ne veut pas de la terreur. »

Chaque phrase visait clairement Danton. C’était la préface d’un acte d’accusation.

Danton n’en parut pas très ému. C’est ce jour-là même qu’il vint dénoncer « les faux patriotes à bonnets rouges, » dont l’éviction permettrait aux vrais patriotes « d’être sûrs de la paix et de la liberté. » Le 13, par des propos patriotiques, le 14, par des propos égrillards, il fit vibrer, puis rire l’Assemblée. Ce