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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/405

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simple encore. Le roi Ptolémée Apion mourut en 96. A défaut d’héritiers, il laissait un testament en règle par lequel il léguait son royaume au peuple romain. A vrai dire, les causes de suspicion ne manquaient pas. Quelques mauvais esprits, comme il s’en trouve partout, prétendirent que le testament était un faux ; d’autres, — ils n’avaient sans doute pas tout à fait tort, — que la volonté du roi défunt avait été contrainte et que, dans toute cette affaire, il était aisé de reconnaître la main de la diplomatie romaine. Le Sénat avait la force, en l’espèce le meilleur des argumens. Il laissa dire et s’occupa de réaliser l’héritage. Il le fit d’ailleurs sans impatience ni brutalité. Tel nous l’avons vu à l’œuvre au Maroc, tel nous le retrouvons ici. Le pays conserva son indépendance. Les villes de Cyrénaïque furent solennellement déclarées libres, ce qui voulait dire en réalité réduites à l’impuissance. Elles durent payer un tribut annuel, et les domaines royaux furent confisqués au profit du trésor. Sous l’apparence trompeuse de la liberté, le Sénat étendait à la Cyrénaïque ce régime de protectorat, qui depuis dix années faisait ses preuves en Tripolitaine et qui est resté si longtemps son système de prédilection.

Malheureusement, à Cyrène comme ailleurs, le gouvernement romain se trouva entraîné beaucoup plus vite et beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait voulu. Les discussions ne tardent pas à éclater de nouveau entre les différentes cités. Dans chaque ville, les partis sont aux prises ; la profonde rivalité ethnique et religieuse des Grecs et des Juifs fort nombreux en Cyrénaïque vient encore exaspérer les passions. Des intrigans en profitent pour mettre la main sur le pouvoir. Cyrène a son tyran, Nicocrate, un des modèles les plus parfaits du genre : assassinat des citoyens, confiscations des fortunes, terreur générale, rien ne manque à sa gloire. Mais une femme, Aretaphila, dont il a tué le mari et qu’il a épousée malgré elle, le fait frapper à mort. Leander lui succède. Aretaphila intervient encore. Le tyran est fait prisonnier, cousu dans une outre et jeté à la mer. Le désordre croît de jour en jour ; l’anarchie est bientôt complète.

Une intervention de l’Etat suzerain devenait nécessaire. Le Sénat, toujours prudent en matière de politique africaine, répugnait à agir. Il se contenta d’envoyer un de ses membres les plus influens, Lucullus, en qualité de commissaire extraordinaire et avec pleins pouvoirs. Lucullus échoua complètement dans sa