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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/431

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Mieux vaut lutter contre les flots
Que prendre les hommes pour cibles ;
Mieux valent vos dangers terribles
Que nos crimes, 6 matelots.

Que si vous y périssez même,
Eh bien ! je vous envie et j’aime,
Avoir un bateau pour cercueil,
Pour tueur le vent redoutable,
Pour mon oreiller d’or le sable,
Et l’Océan pour mon linceul.

Plutôt que tomber dans la boue.
Dans un chemin où, sur ma joue,
Les canons pesans passeront,
D’avoir pour meurtrier un frère,
D’avoir la fange pour suaire,
Et de la honte sur le front.

C’est le mouvement même de quelques-unes des plus belles pièces de Hugo. Lisons encore la pièce, qui date de la même époque, A l’empereur d’Allemagne : ce n’est pas le jugement d’un historien, c’est la vengeresse imprécation d’un poète :

Assis dans son fauteuil, le vieil empereur veille ;
Depuis longtemps déjà il ne peut plus dormir :
Il sent que le remords, qui jamais ne sommeille,
Est un dur compagnon qu’on ne peut assoupir.

Il murmure tout bas des paroles rapides.
Les coudes sur la table et le front dans les mains.
Dans ces mains de vieillard que creusent moins de rides
Qu’elles n’ont fait creuser de sépulcres humains…
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Malheur ! il veut roidir son corps tremblant qui bouge :
Il est environné par un brouillard sanglant.
Il demeure hagard. Tout ce qu’il voit est rouge ;
Que de sang ! que de sang ! O vieux roi, que de sang !

Le tapis de table est rouge, rouges ces pages.
Rouge le grand fauteuil qui lui sert à prier ;
La lampe a la clarté des rouges soirs d’orages.
Et C’est du sang qu’il voit dans son large encrier.

Qu’est-ce qui donc a teint en grenat ces tentures ?
Qu’est-ce qui donc a teint en pourpre ces lambris ?
— C’est le sang s’écoulant, à flots, par les blessures
De deux peuples entiers, qui les a cramoisis…
....................