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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/442

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leur rudesse et leur roublardise, est le mieux venu, le plus vrai, peut-être le seul complètement vrai dans cette pièce où les silhouettes ont souvent l’allure caricaturale.

Pour un Parisien, la campagne est à peu près supportable en été, et elle a même un certain charme à l’automne où la variété des coloris dont se teinte le feuillage est une fête pour les yeux. Mais l’hiver ! On grelotte dans ces pièces humides où les fenêtres ne joignent pas, où les cheminées fument, mais se refusent obstinément à chauffer. Une scène amusante est celle où toute la famille Cocatrix, vêtue de peaux de bêtes, se groupe autour de l’âtre. Dans ces longues journées oisives qui se continuent par d’interminables soirées inoccupées, l’ennui grandit, les caractères s’aigrissent, toutes les folies deviennent possibles. C’en est une que le mariage du mécanicien Victor avec la jeune Cocatrix. Avoir rêvé d’être comtesse et devenir la femme d’un chauffeur qui a fait de la prison ! Ah ! que M. Brieux est dur à cette infortunée qui n’en peut mais ! Apparemment il a voulu dire que nos fautes ne seraient que demi -mal, si nous étions seuls à en souffrir. Mais elles retombent sur des innocens ! Les dames Cocatrix, mère et fille, paient pour les sottises de M. Cocatrix. Lui, au surplus, tirera son épingle du jeu. Il s’est fait une raison, et, au lieu de servir les paysans, il a compris que mieux valait s’en servir. Il est candidat à la députation. Il promet un tramway, deux tramways, et des exemptions de service militaire. Il sera élu. Tel est le rôle du bourgeois aux champs : les bons villageois l’emploient à faire leurs courses dans les ministères.

Certes, la pièce de M. Brieux aurait eu plus de portée, si, au lieu de faire de M. Cocatrix un fantoche, il nous avait présenté en lui un véritable philanthrope, un apôtre du progrès, un illuminé de l’amélioration sociale. Nous aurions vu chacun de ses efforts incriminé, chacune de ses intentions généreuses interprétée à faux par l’inintelligence, la bassesse et l’envie. Plus il y aurait eu de sincérité et de noblesse dans sa propagande, et plus l’échec en eût été démonstratif. Mais c’eût été une autre pièce avec je ne sais quoi d’ibsénien. M. Brieux n’a pas songé à l’écrire et je crois qu’il a eu raison. Il a voulu faire une pièce gaie et encore gaie, d’une gaieté saine, d’une jovialité robuste, assaisonnée au sel de campagne, qui était le sel de circonstance ; il y a réussi : il a amusé, ce qui est encore une manière d’instruire.

M. Vilbert a mis dans le personnage de Cocatrix cette même drôlerie facile qu’il apporte dans tous ses rôles. M. Denis d’Inès a dessiné une très pittoresque, silhouette de vieux braconnier.