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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/459

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s’envolait, aux sons de la misérable ritournelle, dans le monde effrayant et délicieux des rêves.

Et voilà pourquoi nous ne nous sentons pas le courage de regarder la partition de la Marchande d’allumettes comme tout à fait digne de mépris.

Dans le rôle de Daisy, Mme Julia Guiraudon-Cain reparaissait au théâtre, après une longue absence. Ni la voix, ni la personne dramatique et lyrique de l’artiste n’ont rien perdu, l’une, de sa finesse et de sa limpidité, l’autre, de son charme jeune mélancolique et touchant.

« Aux pauvres gens tout est peine et misère. » Ajoutez la pitié, la tendresse, avec un accent vraiment « peuple, » et vous aurez défini l’interprétation du rôle du vieux mendiant par M. Jean Périer.

« Bien chanter est difficile, » dit avec raison Messer Claudio, le juge, dans les Caprices de Marianne. D’autant plus difficile, que la manière, ou la méthode, varie avec les maîtres à chanter. Les uns conseillent à leurs élèves de « placer » ou de « prendre » la voix dans la gorge, les autres dans la tête, d’autres encore dans le nez. Depuis quelque temps, l’agréable ténor qui représente l’officier de marine anglais, M. Francell, paraît avoir contracté l’habitude de cette dernière prise.


Passons au Déluge. Nous en avons entendu récemment en province, à Bourges, une exécution beaucoup moins provinciale qu’on ne pourrait le croire. L’admirable oratorio de M. Saint-Saëns formait la pièce capitale ou, comme on dit, le morceau de résistance d’un concert que Mgr l’archevêque avait bien voulu présider. La ville entière, non seulement y assistait, mais y prenait part : instrumentistes et chanteurs, jeunes gens et jeunes filles, bourgeois, ouvriers, tous étaient du pays. Hormis deux ariettes italiennes, l’une de Lotti, l’autre de Pergolèse, le programme ne comportait rien que de sacré. Le chef d’orchestre aussi, l’excellent maître de chapelle de la cathédrale, était d’église. Et l’on vit bien que, pour comprendre et pour conduire une œuvre religieuse, s’il n’est pas nécessaire et surtout s’il ne suffit pas d’être prêtre, cela ne fait pas mal non plus. Le Déluge est fort loin d’être une chose facile. Mais, encore une fois, l’interprétation berrichonne en fut mieux qu’une passable interprétation. Comme disait un jour Mozart, il est tombé pas mal de notes sous les pupitres, mais l’idée ou le sentiment général a été rendu.

Quarante ans n’ont rien détruit, ou seulement ébranlé, de l’œuvre de M. Saint-Saëns, une de ses œuvres maîtresses. Composition, proportions,