Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout en demeure intact. Elle se présente aussi simple, elle se développe aussi noble, aussi claire qu’au premier jour. Et puis, avec la grandeur, elle a la brièveté. Nous disions le mois dernier combien Wagner est terrible quand il se met à raconter. L’un des élémens et des écueils, du genre de l’oratorio consiste précisément dans l’emploi du style narratif. Le musicien du Déluge y excelle. Pour soutenir et varier un récit continu (voir la première partie notamment) il use, avec autant de discrétion que de justesse, non pas tout à fait du leitmotif, mais du motif rappelé. Le thème du prélude, tantôt alterne avec la parole et tantôt y adhère ; tour à tour il la quitte et la reprend au passage. Cela donne au discours une suite, une teneur à la fois diverse et constante. En un tel sujet, la description devait avoir sa place à côté de la narration, mais sans l’écraser. Il en est ainsi. L’un et l’autre élément se font équilibre. Le tableau du cataclysme biblique est grandiose. Encore mieux peut-être que la chute des eaux, la symphonie en a représenté la masse, l’étendue et la montée lente, par le développement et presque la pesée de vastes couches sonores. Imitative à l’heure du pardon comme à l’heure de la colère, la musique ne l’est naturellement pas de même. Elle a figuré les signes extérieurs de la réconciliation et de la miséricorde (le retour du soleil, l’essor des oiseaux messagers) avec une finesse, une grâce pittoresque, que le sentiment, intime et profond, attendrit.

Enfin, par ses qualités d’ordre et de mesure, de réserve et de goût, l’oratorio de M. Saint-Saëns est bien à nous, de chez nous. L’autre soir plus que jamais, l’art du grand musicien nous a paru national. Dans la vieille cité, parmi les chefs-d’œuvre de notre architecture, de la plus anciennement nôtre, cette musique semblait venir d’elle-même leur répondre et s’accorder avec eux. Remercions nos hôtes de Bourges. Ils nous ont fait passer, au centre, au cœur de la France, quelques heures françaises.


CAMILLE BELLAIGUE.