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LE CRÉPUSCULE D’ELSENEUR

Il y a deux Danemark. Il y a celui qu’on voit et qui, lorsqu’on arrive de Berlin ou qu’on revient de Stockholm, vous séduit par la finesse et la petitesse de ses horizons, par sa nature de parc et de verger qui sentent encore le sauvage, par son élégance, sa netteté, sa fantaisie, sa gouaillerie, son optimisme. Copenhague est de toutes les villes de la Scandinavie la plus gaie et celle qui respire la plus vieille civilisation. Ses quartiers aristocratiques nous rappellent l’ancien faubourg Saint-Germain. Mais ses rues centrales, trop étroites pour la foule qui s’y presse, leurs riches magasins illuminés jusqu’au milieu de la nuit, son petit commerce en sous-sols bariolés, ses restaurans où l’on dîne toute la journée, les hôtels et les villas qui la prolongent indéfiniment sur les bords du Sund, et partout des bruits de musique, nous donnent l’impression, si rare dans le Nord, d’un peuple qui aime à vivre hors de chez soi et qui a l’âme volage.

Au sortir de la ville, et tout le long de la mer, le silence de la grande forêt de hêtres se marie aux silences intermittens des flots. Puis ce sont des campagnes coupées par des bosquets, une plaine quadrillée de haies, égayées de fermes et de hameaux dont les fenêtres étincellent entre leurs rideaux blancs. Le printemps s’y éveille avec une douceur frêle. Toute cette petite terre sourit comme une fleur indécise. « O fleur gracieuse sur le sein de la Sirène ! » s’écrie le poète danois Barfod. Puis ce sont les petites villes. Elles n’ont pas l’apparence de vieilles villes, même quand elles datent, comme Viborg, l’ancienne capitale du Jutland, de deux mille ans après la création du monde et de mille