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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/54

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ans avant le déluge. Elles ont plutôt l’air vieillot avec leurs pignons en escaliers où nichent les cigognes, leurs pots de fleurs à leurs fenêtres et leur miroir qui permet de surveiller les deux côtés de la rue. Le silence y habite avec un gai visage. Les gens y sont plus lents, plus réfléchis qu’à Copenhague ; mais sous leur placidité on devine le même contentement que sous la mobilité des autres. Le Danemark ne leur paraît pas seulement le meilleur pays du monde : ils en ont fait un pays modèle, un pays de fermes modèles, d’écoles et de hautes écoles primaires modèles, de coopératives, de laiteries, d’habitations ouvrières, d’établissemens sanitaires, d’abattoirs modèles. Leur esprit pratique se manifeste jusque dans leur christianisme. Leur célèbre Grundtvig, qui a fait les trois quarts du Danemark moderne, a passé la première partie de sa longue vie à délester la religion chrétienne de tout ce qui pouvait être une gêne pour la raison et une angoisse pour le cœur. Il a fini par la mettre en chansons. Ce sont les joyeux moineaux du Calvaire. A les entendre, la vie est si simple et si aisée, quand on est Danois ! Le fait est que, par la plupart de ses artistes et de ses écrivains, le Danemark nous donne l’idée d’une fantaisie qui ne coûte aucun effort et d’un génie facile. Je songe au gai proverbe : « La nuit est à nous, comme disent les filles de la Fionie ! » « La vie est à nous ! » disaient les Thorvaldsen, les Œlenschlœger, les Andersen, les Drachman, ces grands enfans du bonheur. Ils étaient certains que l’inspiration accourrait à leur appel, comme elles sont sûres que l’amant viendra. Ce joli pays, où les hêtres croissent au bord de la mer, parait peuplé de gens qui savent faire un sort à toutes les minutes heureuses de l’existence. Les Elfes de la joie dansent autour de leurs laiteries et derrière leurs charrues. Les petits soldats danois marchaient au feu sur l’air léger d’une chanson humoristique.

L’autre Danemark, c’est celui des landes incultes du Jutland, de ces vastes landes brunes couvertes de bruyères, qu’on plante peu à peu de sapins, mais que, parfois, des syndicats d’enfans du pays, des Danois habitant l’Amérique, achètent pour qu’on n’y touche pas, pour qu’elles restent ce que Dieu les a faites, et l’objet de leur nostalgie. Cet autre Danemark, c’est celui de la méditation solitaire, des scrupules de conscience, de la tristesse intérieure, de la vie imaginaire, où l’orgueil se repaît à loisir de sa somptueuse inaction jusqu’au jour où, sautant dans la vie