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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/584

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En effet. Malheureusement les expéditions d’Amérique ne nous parviendront pas plus par les ports de la péninsule Ibérique que par les nôtres et ne passeront pas davantage par la Méditerranée. La déclaration de Londres [1] permet aux croiseurs belligérans d’arrêter provisoirement tout navire neutre se dirigeant vers un port voisin du territoire ennemi, quand ils ont des raisons de croire que le navire porte des objets, matières ou denrées utilisables à la guerre et qui paraissent destinés à l’adversaire. La décision définitive sur la validité de l’opération est, dans la pratique, remise à la fin des hostilités.

Personne ne croira, dans de telles conditions, que les croiseurs allemands s’abstiendront d’intercepter, aux atterrages d’Espagne, tout ce qui, de près ou de loin, leur paraîtra suspect.

Or tout sera suspect. Qu’est-ce, effectivement, qui n’est pas utilisable à la guerre ? Et comment prouver, surtout à qui ne veut pas être convaincu, que tels ou tels objets, telles ou telles denrées ne sont pas destinés au gouvernement français, sous le couvert d’un négociant espagnol ou portugais ? La raison du plus fort cessera-t-elle d’être la meilleure, quand le plus fort sera l’Allemagne ? N’y comptons pas et n’espérons pas non plus que les Etats-Unis eux-mêmes, où l’influence de nos voisins est si grande, voulussent risquer une guerre maritime pour soutenir immédiatement les droits de ceux de leurs nationaux que léseraient dans leurs intérêts les procédés sommaires des croiseurs allemands.

Il ne faut donc nous en fier qu’à nous-mêmes du soin de nous garder d’un péril qui apparaît d’autant plus grave que l’on y réfléchit mieux et qu’on en pèse plus exactement les conséquences. Or on ne voit pas aisément ce que nous pourrions faire pour cela, à moins que, cessant de nous hypnotiser exclusivement sur la construction du cuirassé d’escadre proprement dit, nous ne nous résolvions à opposer aux « croiseurs de combat » allemands des bâtimens jouissant des mêmes facultés à la fois stratégiques et tactiques, des cuirassés rapides, — c’est

  1. Art. 30. " Les articles de contrebande absolue (tout ce qui peut être immédiatement utile à la guerre) sont saisissables, s’il est établi qu’ils sont destinés au territoire de l’ennemi, ou à un territoire occupé par lui, ou à ses forces armées. Peu importe que le transport de ces objets se fasse directement, ou exige, soit un transbordement, soit un trajet par terre. » (26 février 1909.) il est clair que ce texte peut justifier tous les abus de la force.