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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/605

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instant elle ne connut la peur ; Massieu, son gardien, et de tous les témoins le plus rapproché d’elle, étonné de son calme, en conclut « qu’elle ne voyait pas le danger. » Son rire, son attitude, ses paroles à Saint-Ouen, tout contredit les réponses qu’on lui prête dans le procès-verbal du 28 mai. Pour donner une certaine apparence à ces faux, Cauchon les met dans la bouche de Jeanne comme des aveux qui lui sont commandés par les Saintes, et ainsi ce serait du Ciel que Jeanne aurait reçu l’ordre de mentir contre elle-même !...

Tous ces mensonges, tous ces faux ne se trouvent-ils pas être commandés pour rendre vraisemblable la cédule fausse, acte d’abjuration de cinq cents mots, que Cauchon avait substitué à la cédule de six lignes, et que le 29 mai, afin de faire condamner Jeanne comme relapse, il présenta aux quarante assesseurs, en même temps qu’il leur rendait compte de l’interrogatoire de la veille. Quelle est l’unique base de tous ces mensonges qui ont trompé l’histoire ?... Un procès-verbal dont les deux auteurs reconnaissent, l’un la falsification, et l’autre avoue les faux, en renonçant à défendre son œuvre, disant qu’il ne se souvient pas. — Au milieu de ces faux. Manchon a cependant pu consigner une protestation indignée de Jeanne qui nous apporte la vérité. Ce cri de son cœur contre l’idée qu’elle aurait pu abjurer, nous montre la fausseté des autres paroles qu’on lui prête : « Si j’eusse dit que Dieu ne m’a pas envoyée, je me damnerais moi-même, car, en toute vérité, c’est Dieu qui m’a envoyée. » Par cette admirable réponse, Jeanne dressait elle-même son bûcher, et lorsqu’elle gravira les marches de ce bûcher, c’est d’elle-même qu’elle y montera, sans aide, sans autre soutien que la vue de son Sauveur sur la croix.

Qui dira jamais les souffrances et l’horreur des deux derniers jours de cette vie si pure ?... Battue, foulée aux pieds (deschoulée, dit-elle), Jeanne, dans les larmes et les sanglots, eut à se défendre contre les plus honteuses violences. La pensée hésiterait même à envisager cet abandon inouï d’une vierge à d’infâmes bourreaux, si ce cri de Jeanne : « Mon corps, pur de toute souillure, va donc être livré aux flammes !... » ne nous montrait que, dans ces heures cruelles, ses Saintes avaient veillé sur elle.