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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/613

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écrire, tout le monde en aurait eu connaissance autour d’elle. »

Or les témoins n’avaient à répondre qu’aux questions qui leur étaient posées ; et pour une révision de procès en cause de foi, seuls étaient envisagés la conduite, les sentimens, la fidélité aux enseignemens de l’Eglise. Il n’y avait donc aucun motif de s’informer si Jeanne savait signer, d’autant plus que le fait en lui-même n’était pas assez extraordinaire, même à cette époque, pour qu’on le citât spécialement. D’ailleurs, si on ne dit pas qu’elle ait su signer, on ne dit pas non plus qu’elle n’ait pu le faire. Conclure à la négative, ne serait-ce pas du parti pris ?... et surtout, lorsque des pièces authentiques existent avec cette signature.

J’en conclurais, au contraire, que si on n’en a pas parlé, c’est précisément parce que le fait n’avait pas à être mis en doute. Tout le prouve, car certaines réponses de Jeanne à ses juges ne peuvent se comprendre et s’expliquer que parce qu’elle sait lire, écrire, signer ; et, pour que ses 60 juges ou assesseurs y aient acquiescé, il fallait que ce fût de notoriété publique.

Dans la propre famille de la Pucelle l’instruction était en honneur. Le frère d’Isabelle Romée était prêtre et nous savons qu’Isabelle, femme très intelligente, ne craignait pas de lointains pèlerinages ; elle est allée au Puy et son surnom de Romée ferait supposer le voyage de Rome. Dans l’habitude de la vie, elle ne pouvait être sans aider son mari dans les fonctions de doyen, c’est-à-dire dans la charge de recueillir les impôts, de vérifier les poids et mesures, etc. Nous trouvons, en 1427, le père de Jeanne d’Arc, chargé comme procureur fondé, de défendre devant Baudricourt les intérêts de Domrémy. Lire, écrire, était donc obligatoire pour Jacques d’Arc ; de même, son fils ainé, Jacquemin, savait signer, puisque, dans un acte de 1427, il cautionnait de ses biens deux fermiers de Vouthon. Doit-on croire que Jeanne, seule dans la famille, fût restée étrangère à toute instruction ? Quelle est, d’ailleurs, la jeune fille de dix-huit ans, fine, adroite, intelligente, qui ne serait pas capable d’apprendre, en quelques mois, à signer couramment ?... Ce n’est que parce que, trop longtemps, on avait négligé d’étudier Jeanne d’Arc, qu’une pareille légende a pu se former. N’est-il pas évident qu’on a pris trop à la lettre les paroles prononcées par Jeanne, à Poitiers : « Vous êtes venu pour m’interroger ; je ne sais ni A ni B, mais je viens de la