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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/621

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Haute-Cour : « Abjuration inventée et fausse où tout est frauduleux. »


La condamnation de Jeanne d’Arc pour hérésie était surtout un acte politique ; mais afin d’arriver au résultat que Winchester voulait obtenir, il avait fallu inventer la prétendue abjuration qui donnait à ce crime politique toute son action et lui faisait acquérir toute sa portée. Winchester pouvait-il laisser aux ennemis de l’Angleterre la force morale, la confiance que donnait l’intervention divine ?... Si Jeanne était la victime, c’était la France et son Roi que visait la condamnation.

L’honneur de la France exigeait donc une réparation ; or, cette réparation ne pouvait être donnée que par la plus haute autorité de l’Eglise ; mais avec les passions surexcitées, dans quelle situation extrêmement délicate se trouvait la Papauté pour intervenir entre deux puissances catholiques !

Jeanne en avait appelé au Pape, et dans la crainte qu’un jour ne vint où cet appel serait entendu, les juges avaient sollicité du roi Henri VI des lettres de rémission, qui les garantissaient contre toute poursuite. Ces lettres nous ouvrent un jour singulier sur le Procès. Les juges avaient obéi, mais la passion et la haine ne les aveuglaient pas assez pour que leur crime ne se levât pas devant eux.

Une amnistie n’est sollicitée que par des coupables et ces lettres de garantie apportent l’aveu de la prévarication.

Jeanne avait été brûlée le 30 mai, et, dès le 12 juin, des lettres sont signées par le roi d’Angleterre pour garantir l’évêque de Beauvais, le vice-inquisiteur Jean Lemaître, tous les assesseurs et greffiers. Ces lettres spécifiaient que si le Procès était porté à Rome ou devant un concile, le roi d’Angleterre s’engageait à soutenir leur cause par ses ambassadeurs, etc., et que tous les frais seraient payés par le Roi. Porter le Procès à Rome, c’était obliger l’Angleterre à y intervenir, et la cause prenait ainsi un caractère de politique internationale, caractère qu’il fallait, au contraire, s’efforcer de lui enlever : la Papauté, en effet, ne pouvait déjà voir sans inquiétude se rouvrir des débats où étaient compromis tant de hauts personnages ecclésiastiques. C’était de toutes ces difficultés qu’avait à triompher la Cour de France pour faire admettre à Rome la possibilité d’une révision.